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Les chrétiens et la bioéthique: la Bible peut-elle apporter une aide?

« Bioéthique : ensemble des problèmes posés par la responsabilité morale des médecins et des biologistes dans leurs recherches, dans les applications de celles-ci. » -- Le Petit Larousse Illustré, 1994.

Il y a environ 20 ans, j'ai essayé d'introduire un cours appelé « Bioéthique chrétienne », au collège adventiste où j'enseignais. Un de mes collègues doutait du bien-fondé de mon idée. Le sujet, admettait-il, était intéressant, mais comment pouvait-il y avoir une approche chrétienne des nouvelles questions posées par la biologie et la médecine quand de telles questions étaient si clairement en dehors du domaine moral de la Bible ? Après tout les Ecritures ne contiennent pas de textes spécifiquement applicables à la plupart des problèmes de ce domaine nouveau qu'est la bioéthique. Malgré les doutes de mon collègue, j'ai enseigné le cours à titre expérimental.

Les temps ont changé. L'Université de Loma Linda, où j'enseigne maintenant, est le siège du Centre de Bioéthique Chrétienne (Center for Christian Bioethics), qui a célébré récemment son 10e anniversaire. A l'université, les étudiants peuvent maintenant obtenir un M.A. en Bioéthique.

Qu'est-ce qui a changé ? D'abord, les questions pressantes de la bioéthique, questions essentielles à l'expression de la nature humaine, sont obstinément présentes. Les problèmes se sont même multipliés. Ensuite, un nombre grandissant de chrétiens ont accepté la responsabilité de s'engager dans le combat de la bioéthique.1

Les questions de mon ancien collègue sont donc maintenant plus pertinentes que jamais. Pouvons-nous développer une approche spécifiquement chrétienne des problèmes de la bioéthique ? Cette approche peut-elle honnêtement se fonder sur la Bible ? Ces questions réclament une attention sérieuse de la part des adventistes, particulièrement engagés dans la foi en la Bible et dans les questions de santé.

Les dilemmes de la bioéthique

Les développements récents de la bioéthique illustrent le type de questions que les chrétiens doivent aborder.

Avortement. Ayant lu d'innombrables travaux d'étudiants sur le sujet, je pense parfois que tous les aspects de la question ont été épuisés. Mais le problème ne montre aucun signe de dissipation. En fait, le conflit concernant l'avortement semble devenir de plus en plus aigu. Et les nouveaux développements biomédicaux promettent d'intensifier les problèmes moraux.

Par exemple le RU 486, pilule abortive développée en France, deviendra avec le temps probablement accessible dans le monde entier. Son utilisation rendra l'avortement moins coûteux, plus sûr et plus confidentiel, augmentant ainsi la nécessité pour les individus moralement responsables de réfléchir clairement sur leurs choix. Les chrétiens, particulièrement ceux qui sont engagés dans les questions de santé, ne peuvent éviter d'aborder le statut moral de la vie humaine prénatale. Ces chrétiens qui croient, comme moi, que Dieu veut que nous protégions la vie prénatale et que l'avortement, même quand il est nécessaire, est un problème moral grave, doivent se demander ce qu'implique la mise en pratique de leur foi. Que peuvent faire les chrétiens pour réduire la tragédie de l'avortement ?

Euthanasie. Dans le passé, la plupart des pays avaient des lois interdisant l'euthanasie (meurtre par compassion). L'euthanasie a été associée à la corruption de la médecine dans l'Allemagne nazie. Mais plus récemment, de nouvelles techniques médicales permettant la prolongation de la vie humaine ont poussé beaucoup de gens à s'interroger sur la qualité d'une vie qu'on prolonge. Sommes-nous réellement en train de sauver des vies ou simplement de repousser le processus de la mort ?

La question se pose toujours plus fréquemment dans les pays assez riches pour être surchargés de technologies. D'abord aux Pays-Bas, puis aux Etats-Unis et dans d'autres pays, nous voyons apparaître une disposition nouvelle du public à « aider » ceux qui sont mourant en raccourcissant intentionnellement leur vie. Est-ce que le refus ou l'arrêt de soins, qui ne semble qu'ajouter aux souffrances du mourant, est moralement identique à l'interruption active de la vie du patient ? Importe-t-il que les mesures soient prises par le personnel médical (c'est-à-dire une euthanasie) ou par les patients eux-mêmes (c'est-à-dire un suicide assisté) ? Le christianisme, qui a traditionnellement opposé le suicide à l'euthanasie, a-t-il des réponses aux dilemmes actuels introduits par la capacité de la technologie à contrôler la fin de la vie ?

Reproduction. Parmi les questions les plus récentes de la bioéthique, il n'y en a pas de plus intrigantes que celles qui se rapportent à la reproduction humaine assistée. En plus de l'insémination artificielle, des mères porteuses et de la fécondation in vitro, nous pouvons maintenant faire le clonage des embryons humains par division des cellules. Nous pouvons même récolter et stocker des ovocytes (c'est-à-dire des cellules femelles en cours de développement) pris sur des ovaires de foetus avortés. Les nouvelles possibilités de développement de la vie humaine ne semblent être limitées que par l'imagination des nouveaux technocrates. Tout ceci soulève de profondes questions sur la paternité et la maternité, la famille et l'éducation de ses « propres » enfants. De plus, la commercialisation de ces nouveaux procédés a ajouté à la complexité du problème moral, alors que bien des gens sont poussés à agir par désir de s'enrichir. Face à de tels dilemmes, quelle est la vision chrétienne de la procréation et de la famille ? Quels principes chrétiens devraient nous guider dans les décisions concernant la prestation ou l'acceptation de nouvelles techniques d'assistance à la reproduction humaine ?2

Génétique humaine. Les nouvelles avancées en génétique semblent fournir des possibilités de définir de manière plus absolue l'être humain. L'établissement de la carte du génome humain progresse plus rapidement que la plupart des gens ne l'auraient prédit il y a encore quelques années. Bientôt nous pourrons identifier les milliers de caractères qui se développeront chez une personne en étudiant avant la naissance le code génétique de cette personne. Ces nouvelles connaissances portent en elles de fantastiques promesses pour la médecine.

La capacité de prédire les maladies génétiques et ensuite de les prévenir est enthousiasmante pour tous ceux qui se préoccupent d'éviter la souffrance humaine. Il ne faut pas beaucoup d'imagination, cependant, pour entrevoir comment une telle connaissance pourrait aussi mener à des abus comme l'avortement sélectif pour des raisons relativement futiles et la discrimination à l'encontre des porteurs de certains défauts génétiques. Comment les chrétiens décident-ils de la manière optimale d'utiliser les possibilités médicales fournies par la nouvelle connaissance génétique tout en rejetant les abus potentiels ?

Outre la connaissance du génome humain, nous avons maintenant le pouvoir de le modifier. Pendant les 20 dernières années, les biologistes ont découvert la manière de manipuler les gènes de nombreuses formes de vie différentes, y compris des humains. Le matériel génétique peut être déplacé d'une forme de vie à une autre, et même au-delà des frontières du règne biologique. Encore une fois, le potentiel d'aide à ceux qui sont affectés de maladies graves est étonnant. Une personne dont la maladie provient de l'absence ou de la défection d'un gène peut être « infectée » par le matériel génétique dont elle a besoin. Bien que de tels traitements en soient toujours au stade expérimental, ils sont merveilleusement prometteurs. Mais il y a aussi la menace de leur mauvais usage, puisque certains sont tentés d'utiliser leur pouvoir non seulement pour soulager la souffrance humaine mais aussi pour produire des êtres humains « de meilleure qualité ». La demande croissante de facteurs de croissance humains obtenus par génie génétique pour faire grandir des enfants plus qu'ils ne l'auraient fait naturellement en est un exemple courant. Quelles sont les limites morales du génie génétique ? Une croyance en une création divine nous aide-t-elle à répondre à cette question ?

Limites de la science médicale

Toutes ces « avancées » pourraient conduire la science médicale à des sommets toujours plus élevés de respectabilité. Mais certains autres développements récents nous rappellent les limites de nos succès scientifiques. Pendant la plus grande partie de ce siècle, nous avons cru que nous étions en train d'éliminer progressivement les maladies humaines les plus épouvantables. Mais la pandémie du SIDA a fait réapparaître notre sens de la vulnérabilité alors que nous affrontons des adversaires acharnés de la santé humaine. Même des maladies comme la tuberculose, que l'on pensait avoir largement sous contrôle dans les pays les plus industrialisés, commencent à réapparaître avec une fréquence troublante. Et de nouvelles souches de bactéries résistantes aux antibiotiques menacent la santé et la sécurité humaines. Que signifie le renoncement chrétien à une époque de pandémies, particulièrement quand certaines maladies, telles que le SIDA, sont aussi associées à des stigmates sociaux implacables ? La foi en la Bible donne-t-elle une orientation vers une prise de risques nécessaire pour s'occuper de ceux qui sont dans le besoin ? Le fait qu'aucune société ne soit assez riche pour fournir à tous ses citoyens la technologie médicale la plus récente et la plus coûteuse nous rappelle aussi nos limites. Puisque les nouveaux traitements coûteux, comme la transplantation d'organe, sont passés de l'expérimentation aux « soins de série », même les sociétés riches ont dû faire face à la réalité des limites économiques. De plus en plus nous entendons des débats sur le rationnement des soins, y compris des traitements pouvant sauver des vies.

Un fait essentiel nous garantit que ce problème ne fera que s'aggraver : la capacité humaine d'inventer des choses qui surpassent notre capacité de les payer. L'idée de renoncer de façon marginale à des technologies médicales efficaces parce qu'elles sont trop coûteuses paraît à beaucoup de gens moralement choquante. Mais, à long terme, nous ne pourrons pas éviter de faire face à cette réalité. Ainsi, qui devrait obtenir les rares moyens médicaux qui sauvent la vie ? Ceux qui peuvent payer le plus ? Ceux qui ont le plus de valeur aux yeux de la société ? Ou alors, si de telles technologies médicales coûteuses ne peuvent être offertes à tous ceux qui en ont besoin, ne devraient-elles pas être refusées à tous ? Que dit l'éthique chrétienne au sujet de questions comme la justice dans la répartition ?

La Bible peut-elle apporter une aide ?

La conviction que Dieu nous guide dans les décisions que nous devons prendre est essentielle à la foi chrétienne. Grâce à la Parole (2 Timothée 3 : 16), à l'Esprit (Jean 16) et à la fraternité dans la communauté religieuse (Actes 15, 1 Corinthiens 12), nous avons les moyens de réfléchir avec attention et d'aboutir à une conviction concernant la volonté de Dieu pour nous. Ces moyens concourent au développement des vertus chrétiennes fondamentales dans notre vie. La plupart du temps, les traits de caractère du chrétien, comme l'amour du prochain (Romains 13 : 8-10), l'impartialité (Actes 10 : 34) et l'acceptation d'obéir aux commandements de Dieu (Jean 14 : 15) poussent à des actions qui reflètent la responsabilité du chrétien. A d'autres moments, cependant, les chrétiens font face à de véritables dilemmes moraux, particulièrement quand deux ou plusieurs valeurs chrétiennes paraissent s'opposer.

De tels dilemmes, comme nous l'avons dit plus haut, ne sont pas rares aujourd'hui en bioéthique. La maturité chrétienne exige une approche biblique honnête de ces difficiles problèmes moraux. Il n'y a, bien sûr, aucune formule simple qui résolve toutes les difficultés d'ordre moral. Cependant, nous pouvons esquisser les considérations essentielles que tout chrétien devrait inclure dans le processus de sa prise de décision.

Ouverture à la direction de l'Esprit. L'éthique chrétienne commence par une ouverture, dans la prière, à la direction continuelle de l'Esprit (Matthieu 21 : 22). Des sujets particuliers de bioéthique peuvent être nouveaux, mais ils ne doivent pas nous intimider, parce que Dieu a promis par le Saint-Esprit de nous conduire aux vérités dont nous avons besoin pour être fidèles à sa volonté (Jean 14 : 15-17). Notre prière pour obtenir la direction de l'Esprit provient de la reconnaissance du fait que la sagesse de Dieu est largement supérieure à la nôtre (Proverbes 3 : 5, 6 ; 1 Corinthiens 3 : 18-20).

L'acceptation de la direction du Saint-Esprit nous mène à la Bible, où Dieu a révélé sa sagesse morale (Psaume 119 : 105). En réponse à l'amour de Dieu, nous sommes motivés à obéir à ses commandements (Jean 14 : 15). Les dix commandements (Exode 20 : 1-17) et beaucoup d'autres expressions de la volonté de Dieu nous guident de manière particulière dans un vaste champ d'activités (Psaume 19 : 8, 9), y compris dans les préoccupations bioéthiques. Même quand pas un seul texte ne traite directement d'une question bioéthique spécifique, la Bible donne cependant des principes généraux pour guider nos actions (voir Michée 6 : 8 ; Matthieu 23 : 23).

Nous ne trouvons pas, par exemple, de passages particuliers nous disant ce qu'il faut faire au sujet des implantations d'embryons humains ou de l'utilisation de la thérapie génique. Mais si nous coopérons avec l'Esprit et cherchons dans les Ecritures certains principes fondamentaux pour nous guider, nous ne serons pas déçus. Nous disposons, non seulement dans les commandements, mais aussi dans l'histoire, la poésie et les prophéties des Ecritures, d'une richesse de moyens qui ravivent notre imagination morale et nous rendent capables de voir la vie humaine dans la perspective des valeurs de Dieu. Ces moyens sont plus productifs quand nous cherchons à comprendre ce que le texte signifiait pour ses premiers destinataires et la direction dans laquelle Dieu les conduisait pas à pas. Les adventistes peuvent aussi trouver un guide dans les écrits d'Ellen White.

Principes essentiels. La Bible nous dit que les valeurs et les principes essentiels à notre vie morale se résument à l'amour. Jésus fait de l'amour pour Dieu et pour les personnes le fondement essentiel de l'éthique (Matthieu 22 : 34-40). Paul l'affirme aussi : « Celui qui aime les autres a accompli la loi... L'amour ne fait pas de mal au prochain : l'amour est donc l'accomplissement de la loi. » (Romains 13 : 8-10.) En l'amour, nous avons donc une base pratique pour résoudre les conflits de valeurs. Ceci signifie que nous devons appliquer toutes les normes bibliques de manière cohérente avec l'amour. Affirmer cela n'est pas demander l'impossible. L'amour est devenu réel en la personne de Jésus (Jean 3 : 16). Le ministère de Jésus incarne l'amour de Dieu et réveille en nous le désir de le suivre (Philippiens 2 : 5 ; 1 Pierre 2 : 21). Dans le ministère de guérison de Jésus et dans son respect pour ceux qui étaient vulnérables et rejetés, nous avons un exemple avec de profondes implications pour les problèmes bioéthiques. Puisque Jésus est la révélation ultime des valeurs morales de Dieu (Hébreux 1 : 1-4), en lui nous avons la source autorisée pour traiter les questions morales complexes.

Dieu destine les chrétiens à se porter assistance les uns aux autres en suivant Jésus par la participation à la vie de leur communauté religieuse (Matthieu 18 : 20). Dieu attribue des dons aux membres de son corps pour qu'ils puissent s'aider les uns les autres à croître dans la foi (Ephésiens 4 : 11-16). Quand l'Eglise primitive se trouvait face à des problèmes qui rendaient perplexe, les dirigeants se réunissaient en concile et, conduits par l'Esprit, ils parvenaient à des décisions pratiques (Actes 15 : 1-35). Ainsi ils nous ont donné un exemple de confiance mutuelle que nous devrions suivre quand nous abordons les problèmes de notre temps qui peuvent diviser, y compris les questions de bioéthique.

Avec ces enseignements bibliques comme base, nous pouvons établir un cadre pour une prise de décision sérieuse et fidèle (voir exemple dans l'encadré de la page 7). Quand nous avons une foi sûre en la Bible, nous ne sommes pas intimidés par la nouveauté et le défi des questions de la bioéthique. Au contraire, nous gagnons confiance dans le fait que Dieu continuera à nous conduire et à nous permettre d'aborder tous les domaines de la recherche humaine, pour mieux le servir et mieux servir l'humanité.3

Gerald Winslow (Ph.D., Graduate Theological Union) est doyen de la Faculté de Religion à Loma Linda University, où il enseigne l'éthique chrétienne. Il est l'auteur de   Triage and Justice (University of California Press, 1982) et de Facing Limits (Westview Press, 1993). Ses articles ont paru dans des revues de médecine et d'éthique, et dans des publications de l'Eglise.

Notes et références

  1. Voir les précédentes discussions de ces sujets dans ce journal : Jack Provonsha, « La bioéthique chrétienne : Questions de vie et de mort : choisir rationnellement », Dialogue 1 : 1 (1989), p. 8-10 ; « Deux documents sur l'avortement », Idem 2 : 1 (1990), p. 32-34 ; « Questions de vie et de mort », Idem 5 : 2 (1993), p. 26-28 ; et une revue du livre Abortion : Ethical Issues and Options, Idem 6 : 3 (1994), p. 26, 27.

  2. Voir « Stérilité et technologie : Une déclaration adventiste sur la procréation médicalement assistée », Dialogue 6 : 3 (1994), p. 32, 33.

  3. Des parties de cet article ont été d'abord présentées au Comité sur les vues chrétiennes de la vie humaine (Christian View of Human Life Committee) de la Conférence Générale des Adventistes du Septième Jour. Ceux qui seraient intéressés par un exemplaire en anglais du rapport produit par ce comité sur la bioéthique peuvent écrire au département de la santé et de la tempérance (Health and Temperance Department) de la Conférence Générale : 12501 Old Columbia Pike ; Silver Spring, MD 20904-6600 ; U.S.A.


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