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Raymond Romand : Dialogue avec un neurobiologiste adventiste français John Graz
Docteur Romand, vous pensiez dans votre enfance que la ferme et le jardin seraient votre destinée. Vous êtes à présent neurobiologiste de renommée mondiale. Cest un véritable saut, nest-ce pas ? Oui, pour ainsi dire. Pour moi ce nest pas juste un saut, mais un long voyage. Enfant, jétais tellement fasciné par la croissance des fleurs dans le jardin familial et la liberté dans la nature que je cessai très tôt daller à lécole. Mon amour de la nature mavait conduit à mémerveiller de la création de Dieu. Ce ne fut ensuite quune question de temps pour que je me remette à létude afin de scruter lordre et les merveilles de la création, des fleurs au cerveau. Quand et comment avez-vous décidé de devenir scientifique ? Je ne me suis pas réveillé un beau matin en décidant de devenir écologiste ou neurobiologiste. Les choses ne se passent pas ainsi dans la vie, du moins pas pour moi. Avant les cours secondaires, jai quitté la ferme familiale pour un apprentissage de jardinier à lhôpital adventiste de la Lignière, en Suisse. Trois ans plus tard, je suis allé à lInstitut adventiste du Salève où le climat intellectuel et ce que jai pu observer du devenir des jeunes mont rapidement convaincu daller au-delà de la sphère de lhorticulture. Dès mes études secondaires terminées, lorsque loccasion sest présentées pour poursuivre des études universitaires, jai immédiatement saisi loccasion. Ayant commencé à étudier tardivement, jétais attiré par de nombreuses disciplines : écologie, biologie, physiologie, neurosciences, histoire, etc. Mais ma curiosité et les circonstances mont conduit à me concentrer sur la physiologie et les neurosciences. Le milieu adventiste a-t-il été une aide dans votre vie professionnelle et intellectuelle ? La spiritualité de ma mère en tant quadventiste ma beaucoup influencé dans ma jeunesse. Grâce à mes parents jai appris la valeur du travail, la signification de la foi et la notion deffort dans le travail. Mon expérience dapprenti jardinier a conforté ces enseignements et plus tard, à lInstitut adventiste du Salève, jai eu loccasion de rencontrer des personnes de formations et dhorizons différents, profondément spirituelles, et aussi des personnes révoltées. Dans ce milieu jai appris comment beaucoup de travail et de foi, ou leur absence, pouvait affecter la vie. Je peux dire que cest latmosphère intellectuelle et spirituelle stimulante du milieu adventiste qui ma propulsé en haut de léchelle de léducation. Je voulais faire quelque chose de ma vie, et dans une large mesure je dois cette décision au milieu adventiste. Vous avez étudié dans des universités publiques pendant presque dix ans. Quel a été le défi le plus difficile à relever ? Dans la plupart des cas, pour les examens, le sabbat était un problème réel. A la fin de ma première année à luniversité de Montpellier, avec 400 autres étudiants, jai dû me présenter aux examens qui devaient se poursuivre pendant quinze jours. Lun deux devait durer trois jours et se terminer le samedi. Jai contacté mon professeur pour demander un changement. « Comment pouvons-nous changer le programme dun examen pour un seul étudiant ? » répondit-il. Et il ajouta : « Hors de question. Pourquoi ne pas demander une dispense aux autorités de votre Eglise ? » Je soumis alors le problème au pasteur de léglise qui contacta le responsable de la Liberté religieuse à lUnion franco-belge. Après quelques entretiens avec le ministre de lEducation nationale, un miracle eut lieu. Luniversité reçut une note officielle demandant la reprogrammation des examens. Aucun examen neut lieu le samedi. Lorsque nous respectons nos principes, Dieu tient toujours compte de nos besoins. Même sil nintervient pas immédiatement, ce nest pas une excuse pour abandonner nos principes. Comment avez-vous choisi votre spécialité scientifique ? Je nai jamais rêvé de devenir un scientifique. Jai juste choisi ce qui était un challenge raisonnable. Jai senti quil y avait un défi en biologie pour moi. Je voulais étudier le monde réel, non pas le monde artificiel, tel que lélectronique. Comprenez bien, je nai rien contre lélectronique, jutilise des instruments et des « gadgets » électroniques chaque jour. Je suis pleinement conscient que lélectronique a affecté notre vie de nombreuses façons. Mais pour moi, la vie réelle était stimulante et exaltante. Elle ouvrait de grandes possibilités détudier le fonctionnement de la matière vivante. Létude de la vie, ses merveilles et ses mystères, est passionnante pour moi et pour ma foi dans le Dieu qui a créé la vie. Il existe de nombreux aspects à explorer, à découvrir et à étudier. Après avoir obtenu une maîtrise de physiologie en 1968, une maîtrise de biologie en 1971, un doctorat de 3ème cycle en physiologie en 1971, jai terminé six ans plus tard par un doctorat en neurophysiologie. Ainsi, je suis arrivé à la possibilité dexplorer cette merveille que nous possédons tous, le cerveau. Ce fut étape par étape un voyage dexploration. Je ne cesse de mémerveiller sur ce quest notre cerveau et les voies complexes par lesquelles il fonctionne. Vous avez deux doctorats, vous avez passé deux ans à luniversité Harvard, vous avez publié de nombreux articles dans des journaux reconnus, Science par exemple, vous avez donné des conférences en Europe et aux Etats-Unis, et vous êtes reconnu comme expert en neurobiologie. Comment vous voyez-vous en tant que scientifique et chrétien croyant en la Bible ? Etre scientifique et chrétien na pas à représenter un conflit. Il est vrai que les affirmations de certains scientifiques chrétiens mettent en doute les révélations bibliques. Mais on ne doit pas abandonner la foi pour autant. Par exemple, prenons la question des origines. Bien que mes recherches scientifiques sur le système nerveux ne soient pas en relation directe avec le problème des origines, je suis conscient que la théorie de lévolution ne fournit pas toutes les réponses. Il sagit dune théorie, et dans mon travail de recherche je dois garder à lesprit que ce nest quune hypothèse de travail. Il est vrai quil ny a pas de synthèse possible entre les notions dévolution et de création, les deux conceptions sur lorigine de la vie et la signification de lunivers sont antinomiques. Après presque vingt-cinq ans de recherches sur le cerveau et la génétique des poissons tropicaux, je suis de plus en plus convaincu que la théorie de lévolution ne correspond pas à ce que jobserve. Ceci ne signifie pas quil y a un fixisme strict dans les règnes animal et végétal. Je pense que telle quelle est enseignée dans les manuels scolaires et ailleurs, la théorie de lévolution est une théorie pratique, acceptée par la plupart des scientifiques sans esprit critique. Néanmoins il est très difficile de donner des contre-arguments scientifiques à la théorie de lévolution parce que des milliers de chercheurs expliquent leurs résultats au travers de cette hypothèse. Malheureusement, très peu de personnes osent défier scientifiquement cette théorie. Cependant, il arrive que quelques chercheurs bien intentionnés avancent de mauvais arguments en faveur de la création contre lévolution, et ces arguments discréditent leurs affirmations dans le milieu scientifique. Pour moi, mes recherches montrent à la fois merveille et mystère du vivant. Ces observations me conduisent à affirmer ma foi en un Dieu créateur. Vous avez participé aux activités de votre église comme directeur de lécole du sabbat et ancien. Avez-vous des commentaires sur la vie de léglise ? Peut-être que lun des problèmes cruciaux que je détecte dans lEglise en général est quelle est devenue établie. Une Eglise trop institutionnelle nest pas légale dune Eglise active et vivante. La vie dune assemblée dépend de lengagement de ses membres à létude et à la mise en pratique de la Parole de Dieu. Par exemple, regardez nos écoles du sabbat, dont la fonction première devrait être létude de la Bible. En dehors de cette étude le message et la mission apparaissent défier la vie de léglise. Nos écoles du sabbat conservent-elles ce principal centre dintérêt ? De nombreux membres déglise ne viennent même pas à lécole du sabbat. Combien de personnes présentes à léglise ont-elles étudié le sujet de la semaine ? Je pense que comme membres déglise nous avons une responsabilité, celle de ranimer notre engagement au message du Dieu Sauveur et à la mission révélée par la Bible. Quels sont vos plans pour lavenir ? La recherche scientifique à un haut niveau prend beaucoup de temps. Elle demande dénormes sacrifices et lon voudrait également faire tant dautres choses à côté. De plus, la renommée aidant, on me demande de faire toutes sortes de choses qui nont rien à voir avec la recherche scientifique. Dans quelques années je serai à un tournant de ma vie. Une question importante surgit déjà : Dois-je continuer à investir mon énergie dans la science durant le reste de ma vie professionnelle, ou mimpliquer davantage dans lactivité de lEglise ? Dieu me montrera la voie à suivre. Finalement, docteur Romand, quels conseils donneriez-vous aux étudiants adventistes qui fréquentent luniversité ? Peut-être quatre pensées. Affirmez toujours votre foi. Evaluez de façon réaliste vos possibilités. Recherchez des défis dans vos études et également dans votre vie professionnelle. Continuez à progresser à la fois intellectuellement et spirituellement. Interview par John Graz. John Graz (Ph.D. de luniversité Paris-Sorbonne) est directeur du département des Affaires publiques et de la Liberté religieuse au niveau de la Conférence Générale des adventistes du septième jour. Adresse du Dr R. Romand : 22 rue J.-Ph. Rameau, 63170 Aubière, France. E-mail : romand@cicsun.univ-bpclermont-fr. |