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Le déluge : une simple catastrophe régionale ? William H. Shea Un examen des données de larchéologie, de la linguistique et des traditions écrites montre que linondation régionale dune vallée mésopotamienne ne peut expliquer de manière satisfaisante le déluge biblique. Créationnistes et évolutionnistes sont en désaccord au sujet du déluge. Les créationnistes soutiennent lidée que la Bible est un document inspiré par Dieu et que son récit du déluge est celui dun véritable événement historique, dun déluge universel. Les évolutionnistes ont réagi au récit biblique de diverses manières. Certains lont écarté comme non historique et ne méritant pas un examen sérieux. Dautres, cependant, ont fourni une explication qui ne saccorde pas avec le point de vue créationniste. Ils suggèrent quil y a eu un événement historique qui a fourni la base du récit, mais que lhistoire a été grossie exagérément par rapport à lévénement originel. Ils pensent quil y a eu une forte crue régionale du Tigre ou de lEuphrate, ou des deux, et que cette inondation a pris une telle ampleur dans les esprits quau moment où son histoire est parvenue aux auteurs bibliques elle était déjà devenue un déluge universel. La théorie du déluge régional Cette théorie tire son origine dun archéologue. Sir Leonard Woolley faisait des fouilles à Ur au sud de lIraq vers la fin des années 20, quand, dans une tranchée particulièrement profonde, ses ouvriers parvinrent à un dépôt dargile stérile sans plus aucune trace de civilisation. Il fit continuer les fouilles pour traverser ce niveau. Au-dessous de ce niveau, on trouva une autre couche dintérêt archéologique. Debout dans la tranchée avec lun de ses ouvriers et sa femme, il posa cette question : « Vous savez ce que cest, nest-ce pas ? » Louvrier parut perplexe mais sa femme répondit immédiatement : « Cest le déluge de Noé ! » Et cest ainsi que prit naissance la théorie du déluge régional de Mésopotamie comme explication du déluge biblique. Après la Seconde Guerre mondiale, Sir Max Mallowan, alors quil faisait des fouilles à Nimroud (Calah), proposa une révision de la théorie de Woolley. Il voulut attribuer au déluge biblique un niveau différent de dépôt de crue dans les sites mésopotamiens. Alors que le déluge de Woolley était daté denviron 3500 av. J.-C. par les datations archéologiques conventionnelles, le Professeur Mallowan proposa la date de 2900 av. J.-C. pour cette strate qui engendra les récits de déluge mésopotamien puis biblique. Notre but ici nest ni dévaluer ni dapprouver ces dates archéologiques, mais de les utiliser comme base de comparaison. La théorie du déluge régional soulève de nombreux problèmes, qui peuvent être examinés suivant trois perspectives différentes : archéologie, linguistique et traditions écrites. Un tel examen déterminera si le récit du déluge biblique remonte finalement au récit dune inondation régionale par une rivière mésopotamienne ou à la Bible, récit historique dun déluge universel. Quand on en vient à larchéologie, il est très difficile de trouver dans différentes villes la bonne strate qui pourrait correspondre au déluge biblique, parce quil y a différents niveaux de dépôts de crue dans certaines villes mésopo-tamiennes et aucun dans dautres villes. Le tableau des déluges régionaux en Mésopo-tamie ressemble à un patchwork aux nombreuses pièces différentes. Considérons les dépôts les plus anciens sur lesquels Woolley fondait son explication du déluge. Ceux-ci nont été trouvés que dans deux sites : Ur et Ninive. Les différences entre ces deux sites sont notables. Ninive est sur le Tigre au nord de lIraq. Ur est située sur un canal relié à lEuphrate au sud de lIraq. Ces deux villes sont donc aux deux extrémités du pays et sont situées sur des fleuves différents. Aucun des autres sites qui les séparent et qui ont fait lobjet de fouilles na donné la même couche de dépôts « diluviaux ». Les observations de Woolley montrent que linondation ne couvrit même pas toute la ville dUr. Les habitants de la région ont pu considérer linondation comme grave, mais elle ne fut sûrement pas du type de celles auxquelles on aurait pu attribuer des proportions universelles. Alors quen est-il du niveau le plus récent daté denviron 2900 av. J.-C. ? Nous avons dans ce cas au moins quatre villes qui sont impliquées : Kish, Shuruppak, Uruk (lErek de la Bible) et Lagash. Kish est la plus septentrionale de ces villes, proche de Babylone. Shuruppak se trouvait sur un canal au centre de la Mésopotamie méridionale. Elle est célèbre dans la tradition comme étant la ville doù Atra-hasis, le héros du déluge, a embarqué. Uruk est située sur le même canal mais plus au sud. Lagash est sur un canal plus à lest de cette région. La couche stérile de Lagash, cependant, ne vient probablement pas de la crue régionale dune rivière ou dun canal, mais plutôt des fondations de lun des temples de Lagash, selon André Parrot qui fit des fouilles à Telloh en 1930-1931. Les fouilles de Kish ont abouti à quatre niveaux différents dargile et non à un seul. Ils sétendent sur une période denviron quatre siècles, selon les spécialistes. Le plus ancien a été daté denviron 3300 av. J.-C. et le plus récent denviron 2900 av. J.-C. Le niveau supérieur, donc le plus récent, avait environ 30 cm dépaisseur. La question est donc la suivante : lequel de ces quatre niveaux devrait-on choisir comme fondement de la légende du déluge pour le texte biblique ? Aucun dentre eux ne semble avoir cette importance, et la multiplicité des couches refroidit lenthousiasme de ceux qui cherchent à identifier lune dentre elles avec le récit biblique. Les deux autres sites ont pu sembler être des candidats plus légitimes. Shuruppak, la Tell Fara moderne, a été fouillée par Eric Schmidt. Dans ses fouilles de 1930-1931, Schmidt a trouvé un dépôt dalluvions de 60 cm dépaisseur qui datait du début du troisième millénaire av. J.-C. Uruk était située sur le même canal mais beaucoup plus au sud. Julius Jordan dans ses fouilles de 1929 y a trouvé une strate stérile de 1,50 m. Donc, des quatre sites impliqués dans cette période de temps, un a plusieurs niveaux de dépôts de crue, un nen a aucun et deux en ont un. Ceci correspond assez bien à ce qui se passe avec les deux sites de la période la plus ancienne, qui avaient aussi des dépôts. Ainsi les deux se valent, linondation la plus ancienne comme linondation la plus récente. Les inondations ont dailleurs continué jusquà maintenant. Il y a eu une grande inondation au centre de lIraq en 1948. Il est intéressant de noter que la plupart de ces sites ont été fouillés presque au même moment, de 1929 à 1932. Lhistoire du déluge régional semble donc avoir été une idée en vogue vers 1930, déclenchée par la suggestion de Woolley. Quand on considère lensemble, cependant, il y a très peu de preuves archéologiques en faveur dune telle théorie. Les dépôts des crues des rivières se sont produits à droite ou à gauche, affectant parfois une ville et pas une autre très proche. Des six sites étudiés dans cette perspective, un seul dentre eux était situé sur un fleuve important, Ninive sur le Tigre. Les autres étaient situés sur des canaux et non sur les rivières elles-mêmes. On devrait donc appeler cette théorie du déluge la théorie des canaux mésopotamiens. Le test de la linguistique Les populations qui vivaient dans cette région à lépoque de ces inondations les connaissaient bien et avaient diverses façons de les décrire. Elles avaient cependant un autre mot pour le Grand Déluge. Ce mot était abubu en akkadien. Ce mot était utilisé pour le Grand Déluge duquel le héros a sauvé sa famille grâce à larche. Le terme na jamais été utilisé pour désigner des inondations régionales. Il a été utilisé dune autre manière, cependant, pour décrire lattaque de larmée assyrienne sous certains rois. En effet, larmée assyrienne submergeait ses ennemis comme le abubu. Cette comparaison est beaucoup plus valable sil sagit du Grand Déluge de la tradition mésopotamienne que sil sagit de linondation régionale dune vallée. Cétait pour les rois assyriens le moyen dasseoir leur réputation de force. Lhébreu biblique fait la même chose. Il a un mot particulier pour désigner le déluge de Noé et ce mot est mabbul. Ce mot est utilisé seulement à deux endroits, dans Genèse 6-9 et dans le Psaume 29. Le Psaume 29 dit que « lEternel siégeait lors du déluge » (v. 10, Nouvelle Version Segond Révisée). Il est fait allusion au déluge de Noé et non pas seulement à une quelconque inondation de vallée. Il sagit dun psaume sur la tempête représentant la puissance de Dieu. Baal nest pas le dieu de la tempête. Yahweh est ce dieu et il contrôle les éléments naturels pour servir ses desseins. Ceci fut vrai même pendant le plus grand bouleversement de la nature que ce monde a connu dans le passé, le déluge de Noé. Tout comme les rois dAssyrie comparaient la force de leur armée à la plus grande puissance jamais vue sur terre, Yahweh a comparé son pouvoir sur la nature à la plus grande démonstration de sa puissance jamais vue ici-bas. Il peut y avoir une relation entre ces deux mots, si on admet que deux consonnes ont été ajoutées au mot sémitique oriental lorsquil est passé dans la langue sémitique occidentale, ou vice-versa si le terme a fait le trajet inverse. Ceci donne le terme composite de (m)abubu(l). Létymologie du mot est obscure dans les deux langues, mais ce à quoi il sapplique est extrêmement clair. Il désignait seulement le Grand Déluge dans les deux langues et nétait pas utilisé pour parler dune quelconque inondation régionale. Ces récits de déluge ont deux éléments principaux. Lun concerne létendue du déluge dans sa description, lautre concerne ses résultats. Dans les deux cas, dans les deux cultures et dans les deux langues, la différence entre le Grand Déluge et les inondations régionales était bien connue et reconnue. Le premier aspect en est la terminologie inclusive quon trouve dans le récit biblique du déluge. La question est : quelle est la portée inclusive de ce langage ? Gerhard Hasel a traité ce sujet dans son article « The Biblical View of the Extent of the Flood » (voir la bibliographie). Comme Hasel le fait remarquer, lexpression « toute la surface de la terre » est utilisée 46 fois dans Genèse 6-9. Lexpression « toute chair » est utilisée 13 fois et lexpression « toute vie » trois fois. Genèse 7 : 19 utilise lexpression « toutes montagnes qui sont sous le ciel ». Ces expressions font allusion à létendue du déluge. Il est vrai quen hébreu le mot tout ne signifie pas toujours cent pour cent, mais ici dans Genèse 6-9, où il est appuyé par la multiplicité de ces expressions, il devrait certainement avoir ce sens. La version de Gilgamesh de lhistoire du déluge dit la même chose : « toute lhumanité était retournée à la poussière » (XI : 133). Utnapishtim, le héros du déluge, ouvrit la porte de larche et chercha la terre ferme. Il est aussi intéressant de noter que ce nétait pas la crue des rivières due à la fonte des neiges de lAnatolie qui causa le déluge. Selon Utnapishtim, ce fut larrivée dune tempête qui causa le déluge : une tempête qui venait des nuages accompagnée par des éclairs dans le ciel. Quand le moment fut venu de tester les possibilités de quitter larche, il envoya aussi des oiseaux comme Noé. Les deux premiers oiseaux, une colombe et une hirondelle, revinrent à larche parce qu« aucun endroit pour se poser nétait visible » (XI : 148, 151). Il ny a pas de doute ici sur la vaste étendue du déluge recouvrant toute la terre. La partie concernant la tempête du déluge à proprement parler manque dans la tablette de la Genèse sumérienne dEridu et de lépopée de Atra-hasis. Mais les portions qui subsistent nous racontent les répercussions au panthéon. Une dispute extrêmement violente éclata parmi les dieux. La plupart dentre eux étaient désolés davoir déclenché le déluge et davoir détruit lhumanité. Cependant, Enlil, le premier des dieux, qui fut le principal à ordonner le déluge, eut la réaction opposée. Il découvrit que certains hommes avaient échappé au déluge et avaient survécu, ce qui le rendit furieux. Le but du déluge était dexterminer lhumanité et le fait que quelques-uns avaient échappé était absolument contraire à ses desseins. Doù sa rage. Il avait été trompé par Enki (Ea), le dieu de la sagesse, qui avait dit au héros du déluge de construire un bateau et de prendre sa famille pour échapper au déluge. Une partie du dialogue sur cette divergence peut être relevée dans lépopée dAtra-hasis. La déesse-mère qui avait donné naissance à lhumanité regrettait la décision davoir déclenché le déluge : « Dans lassemblée des dieux, comment ai-je pu, avec eux, ordonner la destruction totale ? » Elle déplore quAnu, le chef des dieux, ait été daccord avec cette décision, « lui qui ne songea quà provoquer un déluge et livra les peuples à la destruction ». Elle demande encore jusquoù les dieux sont-ils allés, « eux qui ne songèrent quà provoquer un déluge et livrèrent les peuples à la destruction ? Vous avez résolu une destruction totale. » (Atra-hasis, p. 95, 97, 99.) La colère dEnlil se révèle quand il pose la question : « Où la vie sest-elle enfuie ? Comment lhomme a-t-il survécu à la destruction ? » (Ibid., p. 101.) Enki doit confesser quil est « responsable de cette survie ». La même idée est véhiculée par linformation quEnki donna au héros du déluge Ziusudra dans le récit sumérien. En le conseillant de se préparer pour la venue du déluge, il dit : « La décision de détruire lhumanité a été prise ; un verdict, un ordre de lassemblée des dieux ne peut être révoqué. » (Journal of Biblical Literature 100 [1981] : 523.) De tout cela il ressort que lintention dEnlil était de détruire toute lhumanité par le déluge. Les dieux en assemblée votèrent de le suivre, mais regrettèrent ensuite de lavoir fait. Quand quelques humains échappèrent, le plan dEnlil fut déjoué et il devint furieux parce quil avait décidé de détruire tout être humain, et ce fut uniquement parce quEnki le trompa que certains échappèrent. Le récit biblique du déluge se rapproche
de cela mais fait une distinction morale que la version mésopotamienne
ne fait pas. Dieu fut dégoûté par la méchanceté
de lhumanité, mais décida de sauver les quelques justes
dans le monde grâce à larche de Noé (Genèse
6 : 4-8). On ne peut le faire à léchelle biblique
comme à léchelle babylonienne sil ny a
eu quune inondation régionale. Un déluge universel
capable dexterminer lhumanité est nécessaire.
William H. Shea (M.D., Loma Linda University ; Ph. D., University of Michigan) est directeur adjoint de lInstitut de Recherche Biblique à la Conférence Générale. Son adresse : 12501 Old Columbia Pike, Silver Spring, MD 20904-6600. Bibliographie Sur les inondations régionales de Mésopotamie et les indices archéologiques quelles ont laissés, voir Lloyd R. Bailey, Noah : The Person and the Story in History and Tradition (Columbia : University of South Carolina, 1989), p. 28-37. Sur le récit sumérien du déluge voir Thorkild Jacobsen, « The Eridu Genesis », Journal of Biblical Literature 100 (1981) : 513-529. Sur le récit babylonien ancien du déluge voir W. G. Lambert et A. R. Millard, Atra-hasis : The Babylonian Story of the Flood (Oxford : Clarendon, 1969). Sur le récit néo-assyrien du déluge voir J. B. Pritchard, éd., Ancient Near Eastern Texts Relating to the Old Testament (Princeton : Princeton University, 1955), p. 93-96. Sur le langage biblique exprimant létendue du déluge voir Gerhard F. Hasel, « The Biblical View of the Extent of the Flood », Origins 2 (1975), p. 77-95. |
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