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Koko est-il une personne ? James W. Walters Je suis une personne. Je suis humain. Suis-je les deux à la fois ? Personne naurait jamais pensé à poser cette question quand la vie était encore simple, quand la médecine nimpliquait quun docteur, un stéthoscope, un thermomètre et peut-être un appareil de radiographie. Mais nous vivons actuellement dans un monde complexe. La technologie médicale photographie la croissance du ftus en quatre couleurs. Elle nous montre que nous avons tous commencé à vivre en organismes ne comportant quune seule cellule aussi petite quun point au crayon. Et chaque point est un être humain. Ce qui signifie que chacun dentre nous, juste après la conception, était humain et chacun dentre nous au seuil de cette étape était un être vivant. Mais pouvons-nous appliquer le terme personne à ce point ? Si « personne » est défini comme étant équivalent à « humain », alors la réponse est, bien entendu, facile. Mais si par « personne » nous entendons lindividu qui possède, par exemple, une conscience de soi, alors la vie nouvellement conçue ne peut pas être qualifiée de personne. Nouvelles questions Le dilemme de la définition de lhumain/personne pose des questions difficiles. Etant donné la nature élémentaire de lêtre récemment conçu, lusage de la pilule du matin est-il éthique ? Un stérilet est-il moralement acceptable, étant donné quil décroche de la paroi de lutérus lovule fécondé depuis déjà quelques jours ? Le RU-486 est-il une bénédiction ou une malédiction, vu quil est utilisé pour interrompre prématurément une grossesse après cinq ou six semaines de gestation ? Considérez le cas dun patient âgé atteint dune maladie incurable et qui entre dans un état semi-comateux. Cette situation sera perçue par la société, le patient et la famille comme un aspect significatif de la vie ou un aspect dépourvu de sens de la mort ; tout dépendra de la situation du patient sur le continuum de lhumain à la personne. Et de plus en plus, les patients à larticle de la mort dans les centres médicaux sont incompétents, et dautres doivent prendre les décisions cruciales. Aujourdhui, exactement trois quarts des décès surviennent suite à la décision consciente des soigneurs qui stoppent les thérapies utilisées pour garder le patient en vie. Que la vie du patient soit comprise comme étant simplement une forme de vie humaine ou comme un être vivant à part entière, joue un rôle déterminant dans la décision. Les connaissances actuelles nous obligent à explorer lénigmatique statut moral des vies humaines et animales, par la même occasion. Jargumente que la possession de la conscience de soi est une condition nécessaire et suffisante pour être une personne avec un statut moral entier. Je comprends le terme personne comme dénotant un individu qui possède une conscience de soi et qui, par conséquent, a droit à un statut moral au plus haut degré. Certains individus, par exemple les nouveau-nés normaux, devraient être et sont considérés comme étant des personnes parce quils montrent un développement significatif vers la réalisation de leur potentiel en vue dune conscience de soi. Le dilemme de la vie humaine marginale Mon souci nest pas le statut éthique des lecteurs de cet article un statut maximal que nous prenons et devons prendre comme un acquis. Mon intérêt est plutôt daborder la question du statut moral de la vie humaine « marginale ». Je me réfère ici aux Karen Ann Quinlan, aux Baby Michelle, aux Nancy Cruzan et même aux Koko de la société.
Galaxies morales en collision Le groupe qui considère que « tous les humains physiques sont sacrés » et celui qui affirme que « seules les personnes ont une valeur » sont deux galaxies morales en collision. Lavantage de lapproche du physicalisme est tradition et clarté. La société civilisée a depuis longtemps perçu la vie humaine comme possédant un statut moral catégoriquement privilégié. Lavantage de lapproche du personnalisme est que cette vue rationnelle de la valeur des êtres cadre plus facilement avec la complexité de la connaissance et de la vie modernes. Ni lune ni lautre de ces approches ne peut être « démontrée ». Les penseurs ne peuvent pas cataloguer facilement ces positions de « correctes » ou « incorrectes ». Chaque position est soutenue pour de profondes raisons sociales, philosophiques ou même religieuses. Ronald Dworkin a raison de soutenir dans son récent ouvrage1 lidée que lavortement et les débats qui sy rattachent sont « essentiellement religieux ». Jai un profond respect pour ceux qui salignent sur le physicalisme, mais à cause de mes raisons philosophiques et religieuses, je préfère le point de vue du personnalisme. Javance que les termes humain et personne ne sont pas équivalents. Par exemple, je ne considère pas comme une personne un embryon humain récemment conçu ou un humain qui est irrévocablement au-delà de létat de conscience, comme un patient dans un coma complet et permanent. Ni lun ni lautre ne possède la conscience de soi, de sorte quaucun des deux ne peut avoir le statut moral de personne. De même que tous les humains ne sont pas des personnes, toutes les personnes ne sont pas humaines. Par exemple, je reviens à Koko, mentionné plus haut, qui est « quasiment une personne ». Les anges, et Dieu lui-même, sont des personnes. La Bible parle des anges et de Dieu comme ayant une perception de soi intelligente, comme nous en sommes nous-mêmes doués. Ils sont incontestablement des personnes, cest-à-dire des entités avec un statut moral entier. La distinction entre « humain » et « personne » est importante et le sera encore davantage, au fur et à mesure que la technologie médicale fera des bonds en avant et que les ressources diminueront. Un embryon récemment conçu évolue lentement en personne, aussi la manière dont on aborde la question humain-personne affectera la question de linterruption dune grossesse. Au fur et à mesure que la médecine permettra aux patients ayant une qualité de vie toujours amoindrie dêtre maintenus en vie de plus en plus longtemps, le problème qui sépare lexistence humaine et la vie personnelle significative aura une importance accrue. Statut moral et fonction du cerveau La revendication morale dune personne à la vie dépend principalement de ses capa-cités mentales supérieures. Lêtre individuel qui ne possédera plus jamais, ou est définitivement privé du fonctionnement de son néocortex na pas de droit moral particulier à la vie. Aussi, un enfant anencéphale ou un patient dans un état comateux permanent ne détient pas le droit spécial à lexistence que vous et moi possédons. Plus difficile encore que les problèmes liés aux patients dont le niveau supérieur du cerveau est non fonctionnel, est la question des traitements agressifs administrés au nouveau-né sévèrement handicapé ou au vieillard dune maison de repos atteint de sénilité aiguë. Il ny a aucune réponse facile au dilemme posé par ces patients. Cependant, manquer de prendre une décision pour ces cas limites constitue en soi une décision, car la technologie permettant de maintenir la vie est déjà disponible dans les pays industrialisés, et elle sera appliquée à moins que des limites ne soient posées à lavance. Des décisions sur la vie humaine marginale sont prises tous les jours dans le milieu médical moderne, et leur nombre ainsi que leur degré de difficulté ne fera quaugmenter. Par conséquent, nous devons faire face à cette question : Quelle composante de la vie dun individu lui procure-t-elle un droit moral distinctif à lexistence ? La grande question est donc : Sur quelle base allons-nous décider qui détiendra un droit spécial à la vie et aux ressources médicales limitées ? Cette question est dautant plus pressante à cause des possibilités de la médecine moderne. Mon argument est le suivant : Plus un être humain ou un animal se rapproche dune vie dotée dune perception de soi (telle la vôtre et la mienne), plus important sera le droit de cet individu de sarroger un statut moral maximal. Ma manière de raisonner quand il sagit de comprendre la vie telle que je la perçois ne découle pas seulement de mon opinion personnelle mais aussi de ma tradition religieuse particulière. Les traditions philosophiques et religieuses ont déterminé depuis longtemps les vues sur la vie, et aujourdhui, elles continuent à nous informer sur les problèmes existentiels majeurs. Il est pertinent dexplorer davantage les deux traditions fondamentalement différentes qui sopposent sur les questions concernant létat de personne. Physicalisme et personnalisme Physicalisme. Dans le physicalisme, lessence dune personne se situe dans sa constitution biologique. Tous les humains sont des personnes, ipso facto. Ainsi, Bébé P (voir lencadré) est sûrement une personne. Il en est de même pour Bébé K, à part quelle est sévèrement handicapée. Ladhérent au physicalisme essaie de sauver toute vie humaine ; les nouveau-nés ne pesant que 400 grammes et nayant quune infime chance de survie ainsi que les patients atteints de la maladie dAlzheimer peuvent être maintenus en vie une année de plus. Bien que William E. May (théologien catholique romain) fasse la distinction entre « êtres moraux » et « êtres détenant une valeur morale », les deux catégories relèvent du physicalisme. Il argumente que les êtres moraux sont les créatures « capables dactes de compréhension, de choix et damour ». Ces humains sont des êtres moraux car ils sont dotés dintelligence ». Cependant, tous les humains ne sont pas des êtres moraux « dotés dintelligence » (exemple : les nouveau-nés anencéphales). Mais indépendamment de cela, tous les humains sont des « êtres ayant une valeur morale » parce quils ont tous en commun « quelque chose dinné du fait quils sont des êtres humains. » Ce « quelque chose est un principe immanent chez les êtres humains, une composante et un élément déterminant... qui les rend ce quils sont et qui ils sont... ; cest un principe dimmatérialité ou de transcendance des limitations de lexistence matériellement individualisée. »2 Personnalisme. A lopposé du physicalisme, le personnalisme voit lessence de la personne comme étant localisée dans les capacités mentales dune personne et dans ses aptitudes à les utiliser dune manière satisfaisante. Si un ordinateur était conscient, il posséderait une valeur morale comme les anges et les extraterrestres. Cependant, Bébé K nest pas une personne et na aucune chance de le devenir. Bébé P nétait pas une personne à sa naissance et ses parents avaient le droit de demander quon la laisse mourir. Michael Tooley a longtemps débattu la question de la moralité de linfanticide jusquà trois mois pour les nouveau-nés comme Bébé P. Tooley affirme : « Tout ce qui possède, et a exercé, toutes les capacités suivantes est une personne ; et tout ce qui nen a jamais possédé aucune nest pas une personne : la capacité de se percevoir ; la faculté de penser ; la faculté de réfléchir rationnellement ; la faculté darriver à des décisions après délibération ; la faculté denvisager un futur pour soi ; la faculté de se souvenir dun passé où on a été présent ; la faculté dêtre un individu ayant des intérêts autres que ceux de limmédiat ; la faculté dutiliser un langage. »3 Feu le cardinal Joseph Bernardin a résumé de manière perspicace les deux philosophies contrastantes : le physicalisme (il la appelé « humanisme personnaliste ») trouve la dignité humaine dans « le fait dêtre humain », alors que le personnalisme (il la appelé « humanisme pragmatique ») trouve la dignité humaine dans laccomplissement de « choses humaines ».4 Vers une définition de létat de personne En tant quadventiste du septième jour, le pur personnalisme et le physicalisme me mettent mal à laise. Je suis né et jai élevé dans la tradition de mon Eglise, où on ma enseigné que la dignité vient dêtre créé à limage de Dieu. Depuis longtemps, jai apprécié la simple définition dEllen White sur ce que signifie être créé à limage de Dieu ; une définition qui est ancrée dans lesprit de plusieurs centaines de milliers détudiants adventistes du monde, découlant de leur étude de son livre Education : « Tout être humain, créé à limage de Dieu, a reçu une puissance qui ressemble à celle du Créateur : lindividualité, qui lui permet de penser et dagir. »5 Les forces supérieures de lesprit et le pouvoir dagir dune manière distinctive et personnelle ont la même importance. Cette perception de la personne est en contraste frappant avec la croyance en une âme immortelle qui commence à la conception. Evidemment, dans les cultures où le concept dune âme immortelle prévaut, la moralité du physicalisme prédomine. Le personnalisme est une philosophie attirante, dautant plus quaujourdhui la médecine peut maintenir le corps physique en vie pendant un certain temps (exemple : Bébé K). Mais le problème majeur du personnalisme comme du physicalisme est celui de la rigidité. Les deux philosophies sont comparables à des interrupteurs de lampes. Pour ces philosophies, la vie est soit blanche soit noire ; elle ne détient aucun statut moral ou elle le possède pleinement. Mais étant donné nos connaissances modernes, la vie humaine est davantage semblable à un rhéostat : elle commence par une étincelle, senfle jusquà sa plénitude, ensuite diminue dintensité jusquà la mort. Létat de personne suit le modèle du rhéostat. Cest une position de bon sens. Elle puise son contenu intellectuel dans la personne pensante, mais prête loreille en même temps aux intuitions du physicalisme. Une telle définition de létat de personne suggère que plus lindividu est à proximité ou rapproché du moi incontesté ce qui est votre cas et le mien plus élevé est le statut moral de cet individu. Il y a trois critères cruciaux à partir desquels on pourrait trancher la question dans le modèle dune telle définition de létat de personne :
Quelle est la différence si vous appartenez à un camp plutôt quà un autre ? Selon votre vue des personnes, vous aurez différentes réponses à plusieurs dilemmes contemporains :
La manière dont on définit létat
de personne entraîne une différence sur de nombreuses
décisions contemporaines. Et selon la culture, le contexte religieux
et la conviction personnelle, on est enclin à se décider
avec ferveur pour le physicalisme ou le personnalisme ou alors
dadopter une position intermédiaire pour définir létat
de personne.
James Walters (Ph.D., Claremont Graduate School) est professeur déthique à Loma Linda University. Il est aussi léditeur exécutif dAdventist Today. Cet essai est adapté du septième livre de lauteur, What Is a Person ? An Ethical Exploration (Chicago : University of Illinois Press, 1977). Son adresse : Loma Linda University ; Loma Linda, Californie 92350 ; U.S.A. Notes et références 1. Lifes Dominion : An Argument About Abortion, Euthanasia, and Individual Freedom (New York : Knopf, 1993). 2. William E. May, « What Makes a Human Being to Be a Being of Moral Worth ? » The Thomist 40 (juillet 1976), p. 416-38. 3. Michael Tooley, Abortion and Infanticide (Oxford : Clarendon Press, 1983), p. 349. 4. Joseph Bernardin, « Medical Humanism : Pragmatic or Personalist ? » Health Progress (avril 1985), p. 46-49. 5. Ellen G. White, Education (Dammarie-les-Lys, France : Editions S.D.T., 1954), p. 11. |