|
||||||
|
||||||
Au nom de la loi ! Roberto Badenas De toutes les discussions suscitées par la Bible, aucune nest plus controversée ou polémique que celle tournant autour de la loi. Les meilleures législations adoptées dans lhistoire ont trouvé leur origine dans le concept biblique de loi. Linverse se vérifie aussi : au nom de cette loi, bien des abus ont été perpétrés, des guerres « saintes » menées et lesclavage justifié. En son nom, le planning familial est condamné, les femmes sont emprisonnées dans un statut subordonné, les arts figuratifs exclus et les transfusions sanguines interdites. Comment la loi, élément fondamental de lordre assigné par Dieu à la vie, est-elle devenue un sujet controversé ? Un usage illégal de la loi La loi de Dieu ne nous pose pas seulement problème quand nous la transgressons, mais aussi à cause de nos erreurs de perspective quant à ses fonctions. A la source de nombre de ces problèmes, on trouve ce que George Knight appelle « notre usage illégal de la loi1 ». Bien quelle soit sainte, juste et bonne (Romains 7.12), il peut arriver à la loi de Dieu dêtre utilisée dune manière qui soit mauvaise, pernicieuse et inique. Elle peut être employée à poursuivre des objectifs pour lesquels elle ne nous a pas été donnée. Dailleurs, une des constantes tentations des croyants nest-elle pas de faire un mauvais usage de la loi de Dieu ? Cest ainsi quau nom de la loi, un groupe dhommes conduisirent devant Jésus une femme surprise en flagrant délit dadultère non point tant pour être fidèles à la loi mais pour piéger Jésus dans un imbroglio théologique et juridique (Jean 8.1-11). « Sil acquittait cette femme, on laccuserait de mépriser la loi de Moïse. Sil déclarait quelle méritait la mort, on laccuserait auprès des Romains dassumer une autorité dont ils avaient le monopole2. » En loccurrence, le recours rabbinique à la loi nétait quun prétexte pour condamner deux personnes. Or, Jésus sempara de lincident et le retourna afin dexposer lhypocrisie des rabbins, dinsister sur la nécessité, pour la personne pécheresse, du pardon accordé par la grâce divine et de lui indiquer le chemin dune vie nouvelle. Pour Jésus, sen tenir à la lettre de la loi ne suffit pas (Matthieu 5.20). Le vrai respect de la loi implique de respecter lesprit sous-jacent à chaque précepte. Cest ainsi que le commandement de « ne pas tuer » exige aussi de ne pas faire de mal ni dattaquer, ne fût-ce quen paroles (Matthieu 5.21-26). Le précepte relatif à ladultère ne concerne pas seulement lacte physique, mais aussi les pensées et les regards allant dans ce sens (Matthieu 5.27,28). Il est ainsi suggéré que la seule manière correcte de comprendre la loi est de sinterroger sur les principes qui en sous-tendent les préceptes. Une façon illégale dutiliser la loi consiste à voir dans lobéissance quon lui accorde un moyen de salut, ce dont se sont rendus coupables bien des pharisiens. Lhérésie galate portait sur cette fausse perception du rôle de la loi. Paul connaissait bien ce problème. Ayant vécu en pharisien jusquà sa rencontre avec Jésus sur le chemin de Damas, il affichait avec orgueil son légalisme homme sans tache dans son respect de la loi (Philippiens 3.4-6). Mais après quil eut accepté la bonne nouvelle du Christ, Paul comprit que nul ne pouvait être sauvé par le légalisme et que le salut nétait possible que par la foi en Jésus (Romains 1.16,17 ; Ephésiens 2.8). En elle-même, la loi na aucun pouvoir salvateur ; lui attribuer une telle capacité est une imposture théologique qui affaiblit gravement notre compréhension de la voie choisie par Dieu pour notre rédemption. Mais la loi na-t-elle donc aucun rôle à jouer dans la vie dune personne sauvée par la grâce du Seigneur ? Une des confusions les plus courantes et les plus graves rencontrées au fil de lhistoire du salut survient quand « on néglige de distinguer clairement ce que lon doit faire pour être moral et ce que lon doit faire pour être sauvé3 ». Là réside la grande erreur des pharisiens. Leur vision optimiste de la nature humaine les avait amenés à une perception erronée du péché : ils pensaient que tout être humain pouvait surmonter le péché tout comme leût fait lAdam davant la chute et ils croyaient que tout le monde pouvait encore mener sa vie selon la volonté de Dieu, en respectant fidèlement sa loi. Cette conception limitée de la puissance du péché (Romains 3.9) affectait leur compréhension de lobjet même de la loi, car elle proclamait quobéir à celle-ci constituait la voie indiquée par le Seigneur pour parvenir à la justification. Bien que Paul et les réformateurs protestants aient démontré à quel point cette croyance était erronée, cette vision optimiste de lêtre humain et cette conception dénaturée de la loi se retrouvent encore chez des chrétiens de tous horizons y compris des adventistes. Il nous faut nous rendre compte, comme la écrit Ellen White, qu« avant la chute, il était possible à Adam dacquérir un caractère juste par lobéissance à la loi de Dieu. Mais il échoua en cela et, à cause de son péché, notre nature est déchue et nous sommes incapables de nous rendre justes par nous-mêmes. Etant mauvais, nous ne pouvons pas obéir parfaitement à une loi sainte4. » Lusage prévu pour la loi Si notre nature pécheresse nest plus capable de satisfaire aux exigences divines, quel est donc le but de la loi ? Paul en mentionne plusieurs. Une première fonction est juridique. Comme tout autre code législatif, la loi de Dieu a un rôle « civil ». Paul dit quelle nous fut donnée « à cause des transgressions » (Galates 3.19). Le but premier de cette loi écrite est de limiter, déviter ou de prévenir autant que possible les transgressions humaines, afin de restreindre le mal. En ce sens, « la loi nest pas faite pour le juste, mais pour les méchants et les rebelles » (1 Timothée 1.9). La deuxième fonction de la loi est théologique. « Cest par la loi, écrit Paul, que vient la connaissance du péché » (Romains 3.20). Il avance ensuite lidée que sans la loi, il naurait jamais su quil était pécheur (Romains 7.7). Une des réalités les plus humiliantes de notre vie tient au fait que nous navons pas toujours conscience de nos carences. Dans ce contexte, la loi agit comme miroir (Jacques 1.23), nous faisant apparaître tels que nous sommes réellement. Le miroir révèle notre souillure et notre besoin damélioration, mais na pas la capacité dôter cette souillure. Il en est de même pour la loi de Dieu : elle nous signale que nous sommes pécheurs, mais elle ne peut se charger du moindre changement. Elle joue un rôle important celui de révélateur du péché mais ne peut porter remède à la situation. Car pour ce remède, nous devons nous tourner vers Jésus. Traditionnellement, les luthériens ont eu tendance à dénier à la loi toute autre fonction que son rôle civil et théologique et la question de savoir si elle a une troisième fonction a fait lobjet, chez les protestants, de vastes débats. Or, la loi a un troisième rôle, dordre spirituel. Si la loi provient de Dieu et si elle constitue une transcription de son caractère, elle révèle donc la volonté divine à notre égard. Si Dieu prescrit lamour et proscrit linjustice, cest parce quil est lui-même aimant et juste. Paul observe que « la loi est [ ] sainte, juste et bonne » (Romains 7.12,14). La loi montre que lidéal envisagé par Dieu pour chaque être humain est de refléter son caractère. Et comme Dieu ne varie pas, les principes de sa loi constituent des critères permanents de jugement, de lEden à la fin des temps (Romains 2.12-16 ; Apocalypse 14.6-12). On ne sétonnera donc point que le Nouveau Testament affirme que les croyants guidés par lEsprit sont ceux qui respectent la volonté divine (Apocalypse 14.12). Selon Calvin, ce « troisième usage » est « le principal » pour les croyants « dans le cur desquels lEsprit de Dieu a déjà son règne et sa vigueur ». Cest le meilleur instrument leur permettant de connaître plus systématiquement, chaque jour, « quelle est la volonté de Dieu, à laquelle ils aspirent5 ». Aucune de ces trois fonctions ne concerne notre justification. Si la loi nest pas un instrument de salut, elle propose au croyant une direction éthique et spirituelle. « La loi nous renvoie au Christ pour notre justification et le Christ nous renvoie à la loi pour notre réglementation6. » Dune part, la loi indique toujours lEvangile pour y trouver lassurance du salut. Dautre part, lEvangile nous invite à un plus grand respect de la loi. Cest pourquoi Paul pouvait proclamer que cest la foi qui confirme la loi (Romains 3.31). Linsuffisance de la loi Delle-même, la loi annonce ses propres limites. Cest ce que nous enseigne, dans sa totalité, le système du sanctuaire accordé aux Hébreux. La loi révèle la transgression et déclare le pécheur coupable de celle-ci. Mais elle ne peut rien faire pour lexpiation de cette transgression. Jusquà la venue du Christ, le pécheur devait faire appel aux services du sanctuaire. Au nom de la loi, il était invité à chercher le salut en dehors de la loi (Romains 3.21). Dieu seul se charge de lexpiation du péché (Lévitique 16) : le sang prévu pour lexpiation devait être fourni par lui (Lévitique 17.11). La justification relève de lui seul et cest lui qui sanctifie (Lévitique 20.8 ; 1 Thessaloniciens 5.23,24). Le Nouveau Testament montre que luvre de rédemption, symbolisée dans le sanctuaire terrestre, sest accomplie par Christ (Romains 3.27-31). Ainsi, « Christ est la fin de la loi » (Romains 10.4). En lui culmine la loi en tant que révélation et par lui ce quexige la loi devient réalité. Comme lindique Ellen White, « grâce à la justice imputée de Jésus-Christ, le pécheur peut se sentir pardonné et peut savoir que la loi ne le condamne plus, parce quil est en harmonie avec tous ses préceptes. ( ) Par sa foi, il participe de la nature juste de Jésus et répond avec amour et gratitude à limmense amour manifesté par Dieu en donnant son Fils unique, qui mourut afin damener à la lumière la vie et limmortalité par lEvangile. Se sachant pécheur, transgresseur de la sainte loi de Dieu, il contemple la parfaite obéissance du Christ et sa mort au Calvaire pour les péchés du monde ; il reçoit alors lassurance dêtre justifié par sa foi dans le mérite et dans le sacrifice du Christ. Il se rend compte que la loi a été obéie pour lui par le Fils de Dieu et que la peine encourue pour la transgression ne peut sabattre sur le pécheur qui croit en lui. Lobéissance active du Christ revêt ce pécheur croyant dune justice satisfaisant aux exigences de la loi7. » La résistance humaine à la loi En dépit du fait que les principes de la loi révèlent la volonté de Dieu à notre égard, nous avons tendance à concevoir la loi surtout comme un obstacle à notre liberté. Si nous admettons les avantages du respect dun certain ordre, notre nature humaine résiste à toute restriction. Nous attendons des autres quils respectent la loi, mais quant à nous, nous éprouvons des difficultés à nous soumettre à sa discipline. La nécessité de la loi est claire et logique, mais nous avons tendance à en minimiser les obligations. La nature exige la présence de la loi et la nature humaine en connaît le besoin. Mais connaître est une chose, agir en est une autre. Le bonheur humain est lobjet de la fonction didactique de la loi divine. La loi est prévue pour concentrer lattention sur le bien, pour montrer la différence entre le bien et le mal, entre le respect et la violence, entre la justice et linjustice. Elle trace une limite de sécurité entre ces deux polarités et fournit une barrière pour nous préserver. Le mode impératif de la loi nest autre que lexpression de lamour de Dieu. La fonction didactique de la loi Paul compare la fonction de la loi à la tâche du maître décole qui prépare lenfant à suivre les instructions dun enseignant de plus haut niveau. Pour lui, la loi sert « à nous conduire à Christ afin que nous fussions justifiés par la foi » (Galates 3.24). Dans la Bible, les interdits précèdent fréquemment les ordres positifs. Ainsi, par exemple, le commandement « Tu ne tueras point » est proclamé avant tout développement au sujet de lamour dautrui. Car nous ne pourrions prendre conscience de la valeur de la vie si aucun interdit préalable ne nous obligeait à réfréner nos passions et leur violence. La prohibition du meurtre bloque nos pulsions agressives et nous force à méditer sur les conséquences de nos décisions. Si la vie nous met constamment dans lobligation de choisir, la loi nous aide à bien choisir. Elle nous enseigne que négliger de choisir est une option dangereuse et que demander le conseil de Dieu apporte un surcroît de liberté plutôt que sa diminution. Cest pour cela que la Bible lappelle « la loi parfaite, la loi de la liberté » (Jacques 1.25). Dans sa fonction didactique, la loi nous apprend où se trouvent nos valeurs. Chaque interdit et chaque commandement proclament une valeur précise : ne pas mentir nous rappelle la valeur de la vérité, ne pas commettre dadultère souligne limportance de la fidélité en amour, ne pas faire usage de violence met en lumière le caractère unique de la vie, etc. La loi nous dit que la vie et les sentiments de nos frères humains sont aussi précieux que notre propre vie, que nos propres sentiments. En ce sens, la mission de la loi divine est plus pédagogique que réglementaire, plus révélatrice que législatrice. Avoir conscience des profondes valeurs dont la loi est porteuse, mais aussi de ses limites précises, nous aide à ne plus la percevoir comme un obstacle à notre liberté mais comme un guide précieux dans ce voyage quest notre vie. Elle nous tient lieu de carte ou de plan, mais le chemin, cest Jésus et nul autre. Il a lui-même clairement dit quen ces temps troublés de lhistoire, les croyants sincères resteront fidèles aux commandements divins tout comme à leur foi en Jésus (Apocalypse 14.12). Roberto Badenas, docteur en théologie de lUniversité Andrews, est enseigant et doyen à la Faculté de théologie du Centre universitaire et pédagogique du Salève, en France. Son dernier livre paru sintitule Más allá de la ley (Madrid : Safeliz, 1998). Son adresse : Boîte Postale 74 ; 74165 Collonges-sous-Salève Cedex ; France.E-mail : 74617.1776@compuserve.com Notes et références * Les versets bibliques cités sont tirés de la version Louis Segond. 1. George Knight, The Pharisees guide to Perfect Holiness (Boise, Idaho : Pacific Press Publ. Assoc., 1992), p. 59, 60 ; traduit par nous-même. Il existe une version en français : Parfait, mais pas comme vous le pensez (Dammarie-les-Lys : Vie et Santé, 1998). 2. Ellen G. White, Jésus-Christ (Dammarie-lès-Lys : Vie et Santé, 1992), p. 456. 3. Knight, op. cit., p. 65. 4. Ellen G. White, Le meilleur chemin (Dammarie-les-Lys : Vie et Santé, 1981), p. 60. 5. Jean Calvin, LInstitution chrétienne, 2 : 7,12 (s.l., Kerygma, Farel, 1978), Vol. I, p. 118. 6. B. Ball, The English Connection (Cambridge : James Clark, 1981), p. 133. 7. Ellen G. White, The Youths Instructor, 29 novembre 1894, p. 201. |