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Heber Pintos : Dialogue avec un illustrateur adventiste uruguayen Humberto M. Rasi
À quand remonte votre envie de dessiner ? À mon enfance, quand je grandissais à Montevideo. Je me revois en train de déchirer des pages blanches du cahier de ma sur et de men servir pour esquisser tout ce qui me venait à lesprit. Puis, à lécole primaire, jai commencé à caricaturer des enseignants et des copains. La plupart du temps (mais pas toujours) ils trouvaient ces dessins pleins dhumour ! Qui vous a encouragé pendant vos années de formation ? Une des institutrices de lécole primaire a dit à ma mère que javais un sens aigu de la perspective, chose inhabituelle, selon elle, pour un garçon de six ou sept ans. Pendant ces années-là, jai été fasciné par les bandes dessinées que publiaient les journaux et les magazines et quon rééditait en petits recueils. Ma mère ne me permettait pas de dépenser de largent pour acheter des B.D. alors je les empruntais à mes amis et je me suis mis à en imiter les différents styles. Alex Raymond était mon dessinateur de B.D. favori. À lécole secondaire, jai bénéficié de lenseignement et de lappui dOmar Seco, exceptionnel professeur adventiste de beaux-arts. À 17 ans, un évènement décisif sest produit : la responsable de lécole du sabbat de mon église, en Uruguay, ma demandé de dessiner, en vue dune exposition, le portrait de treize femmes de la Bible, sujets des leçons du trimestre. Ce projet ma obligé à de profondes études et ma appris à tenir les délais promis. Le dessin du genre B.D. vous attire-t-il toujours ? Bien que jaie fait des études de dessin très structurées aux beaux-arts et que je me sois diversifié vers dautres genres dillustration, jaime toujours le style B.D. La photo et les illustrations réalistes ne permettent de communiquer quune gamme limitée démotions alors que les dessins de B.D. et les caricatures, qui impliquent un certain degré dexagération dans le trait, me permettent de faire passer des émotions puissantes joie, surprise, colère et ont un effet considérable sur le lecteur spectateur. Comment votre famille est-elle entrée en contact avec lÉglise adventiste du septième jour ? Ma mère était une stricte catholique, fort active dans sa paroisse. Une de nos voisines, adventiste au grand cur, a partagé pendant dix-sept ans avec notre famille les vérités de la Bible. Le vendredi soir, elle venait chez nous et me racontait, ainsi quà nombre de mes copains du voisinage, des histoires bibliques. Parfois, elle apportait des diapositives couleur pour illustrer ces histoires et je laidais en faisant fonctionner le projecteur. Quand vint pour moi le moment daller à lécole, cette dame a insisté pour que je sois inscrit dans une école adventiste et a même donné de largent à ma mère pour contribuer à mes frais de scolarité. Quels facteurs vous ont-ils amené à devenir adventiste ? Les enseignants adventistes mont donné accès, ainsi quaux miens, à une nouvelle manière de considérer la vie et le monde. Jai été baptisé en novembre 1955, pendant ma première année dinternat à lécole secondaire. Lannée suivante vint le tour de ma mère. Ladolescent de treize ans que jétais alors ne connaissait quà peine les enseignements de lÉglise, mais il admirait le style de vie de ses enseignants et dautres adventistes. Avez-vous dépassé ce niveau de compréhension initial ? Durant ma jeunesse, javais surtout envie de bon temps, mais au fur et à mesure que jétudiais la Bible et la théologie à la faculté, je mûrissais. Jai rencontré en Jésus une personne tout à fait unique. Lidée que Dieu ait choisi de devenir tout comme lun dentre nous et quil ait accepté de souffrir et de mourir pour moi, ma bouleversé. Quel fut leffet de cette maturité sur votre art ? Je me suis mis à produire plus dillustrations de thèmes bibliques et de sujets chrétiens. Lart de lillustrateur adventiste Harry Anderson ma grandement impressionné. Son style, qui évite lhyperréalisme photographique mais transmet de puissantes émotions de manière très fluide, ma attiré. Jai imité son approche, la combinant à mon propre sens dynamique du mouvement et de laction. Comment procédez-vous pour vous préparer à illustrer un sujet ou un thème précis ? Si on me demande de présenter ou de compléter un article ou un livre, jen lis soigneusement le texte pour bien saisir lintention de lauteur. Il arrive souvent que je fasse des recherches sur le contexte culturel et historique dun personnage ou dun évènement particulier. Puis, je commence à griffonner au crayon et lentement, quelque chose prend forme. Il arrive que je passe des heures sur des esquisses, sans obtenir ce que jai à lesprit. La seule preuve que jai travaillé, cest ma corbeille à papier, pleine de feuilles chiffonnées ! Et puis, après une brève pause, je reviens à ma table de travail et en quelques minutes lidée devient dessin. Votre approche varie-t-elle selon que les sujets sont religieux ou séculiers ? En matière commerciale, on cherche à satisfaire le client, avec la rémunération comme objectif. Quand il sagit dillustrations religieuses, je mefforce toujours de faire passer un message spirituel qui aura, je lespère, un impact sur les relations du lecteur avec Dieu et avec sa vérité. Les cours que jai suivi en théologie biblique mont été très utiles à ce titre : ils mont aidé à délaisser la caricature populaire qui présente un Dieu cruel, toujours prêt à nous punir à la moindre transgression et mont permis de ressentir la réalité dun Dieu immensément puissant mais aimant. Dans The Life of Jesus, votre uvre la plus importante, vous représentez le Fils de Dieu dune manière inaccoutumée. Pourquoi ? Je ne trouve guère attrayantes les images languides et doucereuses de Jésus devenues populaires au sein de certains cercles chrétiens. Jésus a été charpentier pendant bien des années, cétait donc un jeune homme vigoureux avec des mains puissantes et un corps musclé. Dans sa présentation par les Évangiles, cest un individu à la fois divin et humain, avec une irrésistible personnalité, capable de confronter le mal avec courage tout en exerçant une attraction magnétique sur les enfants et sur les gens que la société rejette. Pour certains, cette représentation réaliste des personnages bibliques revient à vulgariser le divin message des Écritures. Je ne suis pas daccord. Jésus lui-même fut accusé dirrespect pour les traditions religieuses et de fréquentations communes. Pour communiquer de profonds messages, il a puisé ses illustrations dans la vie quotidienne. Il a brossé le portrait du Seigneur en père aimant, toujours prêt à pardonner, à accueillir et à embrasser ses fils et filles égarés dès quils ont décidé de regagner le bercail. Avez-vous un type de lecteur favori pour vos histoires illustrées ? Pendant toute ma carrière, je me suis senti en affinité avec lenfance, ladolescence ou la jeunesse. Jaime la spontanéité, lhumour et limagination de ces âges. Comme jai deux enfants et que jai travaillé pendant des années comme instructeur scout et comme enseignant de lécole du sabbat pour les jeunes, je peux me sentir en phase avec leurs questions et leurs revirements émotionnels. Comment définiriez-vous votre style dillustrateur ? Question difficile ! Un professeur de dessin ma dit un jour : « Ne tinquiète pas du style. Dessine selon ton imagination et ce que tu sens. » Lexamen des illustrations que jai réalisées au fil des ans fait apparaître une considérable diversité des styles du classique à la B.D. En fait, quand je dessine, je me sens libre de madapter tant aux lecteurs envisagés quà lintention du texte que je suis en train dillustrer. Comment vous êtes-vous adapté aux innovations techniques survenues dans le domaine de lillustration ? Les logiciels graphiques ont amené ces dernières années des évolutions spectaculaires. Ils constituent un instrument professionnel fabuleux. Pourtant, savoir dessiner à la main reste toujours un avantage. Cela aide à préserver la fraîcheur et le réalisme des illustrations. Quest-ce qui vous donne satisfaction, en tant quartiste ? Et quelles sont, dans votre travail, les causes de frustration ? Jaime achever un projet. Après des jours ou des semaines à me colleter avec le concept et sa mise en uvre, je me sens si bien quand japporte au client lillustration ou la peinture commandée ! Je peux alors tourner mon attention vers la tâche suivante. Je me sens surtout frustré chaque fois que je dois admettre ne pas être un illustrateur parfait. Quand je vois une de mes uvres publiée, je regrette bien souvent de navoir pas pu la travailler plus longtemps. Quel conseil donneriez-vous à un jeune lecteur se sentant attiré par les beaux-arts et qui voudrait devenir illustrateur ? Laptitude à faire de beaux dessins et de bonnes illustrations est un don peu commun. Cela ne se ramène pas simplement à étudier les beaux-arts pendant un certain nombre dannées avant de devenir soudainement artiste. Outre le talent, on doit être prêt à dessiner, dessiner et dessiner encore, jusquà ce que lon parvienne à un certain niveau technique. Je suggérerais aussi dimiter les bons modèles, dessayer différentes techniques et découter les conseils dartistes expérimentés. Comment entretenez-vous votre vie spirituelle ? Mes lectures sont très vastes, mais je reviens toujours à la Bible, qui demeure une constante source dinspiration tant pour mon travail dartiste que pour mon cheminement de chrétien. Propos recueillis par Humberto M. Rasi. Humberto M. Rasi (titulaire dun doctorat de luniversité de Stanford) est directeur du département de lEducation de la Conférence générale des adventistes du septième jour et rédacteur en chef de Dialogue. Adresse postale dHeber Pintos : Casa Publicadora Brasileira ; Caixa Postal 34 ; 18270-000 Tatui, SP ; Brésil. E-mail : heber@bitweb.com.br. |