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Leona Glidden Running : Dialogue avec une linguiste et universitaire adventiste Roberto Clouzet
Professeur Running, comment vous définiriez-vous ? On a souvent dit de moi que jétais « la première femme adventiste à enseigner les langues bibliques ». Ce nest pas exact, mais je suis la première femme à être devenue membre à plein temps du corps enseignant du Séminaire théologique adventiste. Vous êtes née et vous avez grandi à une époque difficile. Quest-ce qui vous a poussé à acquérir une bonne éducation ? Ce sont mes parents. Ils avaient une foi puissante dans léducation chrétienne et ils ont fait de grands sacrifices pour menvoyer, ainsi que ma jeune sur, dans des écoles adventistes. Ils avaient la conviction une conviction quils mont transmise que Dieu avait, au sein de toute son uvre, un plan pour ma vie. Et malgré bien des difficultés, jai toujours senti que je devais travailler pour mon Eglise. En quoi létude des langues bibliques est-elle importante pour un pasteur ? Aimeriez-vous aller chez un dentiste qui vous dirait : « Je nai pas pris la peine dapprendre le mode demploi de mes instruments, parce que cest trop dur » ? Les langues bibliques sont les instruments du pasteur. Elles lui permettent de consulter le texte original et de voir directement ce que dit celui-ci. Elles laident à évaluer les nombreuses traductions disponibles. Elles lui confèrent de lautorité. Cependant, je dis sans cesse à mes étudiants : « Ne prononcez surtout pas le mot hébreu ou grec quand vous êtes en chaire ; dites simplement à vos paroissiens ce que dit le texte original. Ils ne repartiront pas se félicitant : Quest-ce quil connaît bien lhébreu et le grec, notre pasteur ! mais en se disant plutôt : Avec notre pasteur, la Bible me parle. » Comment vous êtes-vous intéressée aux langues de lAntiquité ? Jai une passion pour les langues. Alors que je travaillais à la revue Ministry, comme le Séminaire était tout proche, jai eu loccasion détudier les langues bibliques. Jai débuté en participant à deux cours dhébreu. Au bout de deux ans, je me suis inscrite à temps plein et jai fini ma maîtrise en 1955. Puis le séminaire ma embauchée pour que jenseigne les deux premiers niveaux de grec et dhébreu. Cétait il y a plus de quarante ans. Comment en êtes-vous venue au programme de doctorat de lUniversité Johns Hopkins ? Pendant ma première année denseignement au séminaire, un de mes mentors ma poussée à préparer un doctorat. Jai commencé, dabord en sciences de léducation. Mais quand le président de mon département en a entendu parler, il ma annoncé quil nétait pas du tout daccord. Sigfried Horn, ce grand érudit adventiste, nétait pas seulement un collègue, mais aussi un de mes anciens professeurs. « Leona, ma-t-il dit, tu dois aller à Johns Hopkins et obtenir un bon diplôme dans ta vraie spécialité. » Comment avez-vous réagi ? Avec incrédulité. « Y arriverai-je ? Moi, à Johns Hopkins ? » me suis-je demandé. Pour moi, Johns Hopkins, cétait la lune ! Mais je ne risquais rien à essayer. Il y avait des critères linguistiques dadmission et jy ai satisfait au cours dune heure dagréable conversation avec le professeur Albright, en allemand, puis en français et en espagnol, traduisant ensuite plusieurs passages choisis des Écritures, en grec et en hébreu. Il ne ma pas demandé de traduire à partir de la Vulgate en latin, bien que jaie étudié le latin toute seule pendant les six semaines précédentes. Se basant sur ma connaissance des autres langues, il a bien voulu croire que je pouvais aussi lire la Vulgate dans le texte ! Que pouvez-vous nous dire de votre expérience de rédaction de thèse ? Ma thèse portait sur les manuscrits syriaques du livre dEsaïe. Le plus grand spécialiste mondial dEsaïe enseignait dans un séminaire de Chicago et avait accepté de me guider dans mes recherches. Il y eut un été où jattendais des copies sur microfilm des manuscrits dEsaïe, commandées au British Museum, au Louvre, à la Bibliothèque nationale, à la Bibliothèque du Vatican et auprès dautres sources européennes ! Tout en poursuivant mes recherches, je donnais des cours. Outre le grec et lhébreu, jai enseigné plus dune fois lakkadien (écriture cunéiforme), légyptien (les hiéroglyphes) et le syriaque, proche de laraméen que parlait Jésus, et tout cela me fut bien utile. Ma thèse était copieuse : 400 pages, dont 147 pages manuscrites en syriaque, présentant les 3 339 variantes que javais repérées. À lépoque, nous ne disposions pas dordinateurs avec les textes en langues étrangères et jai dû transcrire deux fois, à la main, les 147 pages en syriaque, en appuyant assez fort sur le stylo contre une règle en métal afin dobtenir un tracé lisible sur deux copies au carbone, car javais à fournir six exemplaires. La soutenance dune thèse de doctorat est une sorte de « rite de passage ». Gardez-vous un souvenir significatif de ce « rituel » ? La date, mémorable, de ma soutenance orale avait été fixée au 30 janvier 1964. Le jury de thèse était assis autour dune longue table : le président du jury, le titulaire de la chaire de lettres classiques, le président de mon département détudes orientales, un arabisant, un professeur déconomie, présent parce que ma thèse présentait des tableaux statistiques, et à ma droite, la présidente du département dallemand, qui tricotait. En fait, ce fut un bon moment ! Chaque personne avait dix minutes pour minterroger. Mon chef de département a commencé avec des questions faciles, pour me mettre en selle. Le temps sest écoulé rapidement ; ce fut une expérience très satisfaisante. Jai attendu dans le hall pendant que le jury prenait sa décision. Cela ne prit pas beaucoup de temps et on a vite demandé au « Dr Running » dentrer. Après la cérémonie de remise du diplôme, je me suis sentie libérée. Pourtant, je navais pas toutes les réponses. Lenseignement supérieur est une expérience qui est tout autant source dhumilité que dillumination. Ce fut lévénement majeur de votre vie ? Pas dut tout. Le plus grand événement de ma vie fut mon mariage. Mon mari était déjà un « homme émancipé », à lépoque. Nous étions partenaires à égalité. Comme vous lavez dit tout à lheure, vous êtes la première femme adventiste devenue membre à plein temps du corps enseignant du séminaire. Comment avez-vous vécu ce rôle ? Au plan social, être la seule femme donnant des cours au séminaire et à Johns Hopkins ne ma pas gêné, mais ce qui était difficile, cétait de me rendre aux banquets de faculté, presque uniquement prévus pour des couples ! Et puis, au niveau universitaire, je me suis probablement imposé un blocage mental quand jai intégré léquipe du séminaire, me restreignant aux langues et à leurs méthodes denseignement. Jai abandonné les cours dexégèse et de théologie aux hommes, qui préféraient ce genre de classe. Quand le séminaire a été déplacé dans le Michigan, le professeur Horn ma fait inscrire à la Société de recherche biblique de Chicago, dont je fus la première présidente en 1981-82. Quelle fut votre principale source de satisfaction en enseignant les langues bibliques ? Travailler avec de jeunes futurs pasteurs, plus récemment avec des jeunes femmes aussi. Quelle joie douvrir une porte sur une pièce où ils nauraient jamais pu pénétrer auparavant et de leur permettre de voir tous les trésors qui y sont entreposés pour examiner les textes bibliques originaux, y trouvant ce quils navaient jamais remarqué ! Jéprouve une grande satisfaction à observer mes étudiants dans lenseignement ou dans le pastorat ou en tant quadministrateurs. Ils me contactent parfois pour demander un conseil, une aide, ou juste pour dire bonjour. Cela compte beaucoup pour moi. Comment percevez-vous léducation adventiste actuelle ? Jen suis fière. À lexception de mon doctorat, jai accompli tout mon cursus éducatif dans nos écoles. Et il est important que dans nos instituts universitaires, tous nos étudiants bénéficient de bonnes fondations bibliques. Que conseilleriez-vous aux étudiants adventistes inscrits dans des universités laïques ? Jespère quils ont une église locale qui les entoure vraiment bien. Sils nen ont pas, il faut quils sorganisent en groupe pour leur culte et leur étude de la Bible. Certes, sur bien des campus, ils ne peuvent pas se livrer à de lévangélisation ouverte, mais ils peuvent vivre leur foi et la partager discrètement. Cette attitude sera objet de curiosité et fera surgir des questions. Les gens diront alors peut-être : « Je vois les adventistes différemment depuis que je te connais. » Il est alors possible de répondre : « Viens nous voir. » De toute façon, soyez ouverts, disponibles, serviables. Propos recueillis par Roberto Clouzet. Roberto Clouzet prépare un doctorat en psychologie éducative à Andrews University. Adresse du professeur Running : Seventh-day Adventist Theological Seminary, Andrews University ; Berrien Springs, Michigan 49104 ; U.S.A. |