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Carlos Puyol Buil: Dialogue avec un pasteur espagnol, universitaire et administrateur Pietro E. Copiz
En regard des circonstances de lépoque, votre conversion paraît miraculeuse. La conversion est toujours un miracle, offert par la grâce divine. Des circonstances providentielles, une réceptivité héréditaire ou acquise, ainsi que lintervention directe de lEsprit saint, sallient pour y contribuer. Se déroulant souvent au niveau de linconscient, un processus préparatoire précède celui de la conversion. En ce qui me concerne, je dois lattribuer à linfluence de ma mère, fervente catholique, qui suscita en moi la quête du Seigneur. Vous étiez très indépendant desprit. Comment en êtes-vous venu à opter pour une Eglise qui semble, de prime abord, caractérisée par limportance des règles à suivre ? Le Christ a promis que cest la vérité qui accorde la vraie liberté (Jean 8.32). LEvangile nous libère du péché et de toute autre forme dasservissement que nous sommes en train de subir. Il nous permet de retrouver toute la valeur de la dignité humaine. Jai découvert dans les normes de lEglise adventiste un chemin de développement et de libération personnels. Parlez-nous de votre expérience détudiant se préparant au ministère, dans lEspagne dalors. Cétait enthousiasmant. Comme les autorités avaient fermé le séminaire, nous allions en cours chez les professeurs, prenant nos notes sur nos genoux. Il ny avait pas dinternat et nous habitions chez des membres dEglise. Ceux qui, comme moi, navaient pas encore de diplôme de fin détudes secondaires allaient passer leurs examens dans le secteur public après avoir pris des cours privés. Nos vacances étaient consacrées au colportage et à la participation à la vie des Eglises, assistant nos pasteurs, aussi souvent que possible, dans leurs efforts dévangélisation. Quels étaient les grands problèmes des jeunes adventistes à cette époque ? Observer le sabbat à lécole et au travail. Mais jai rencontré plus de problèmes durant mon service militaire. Presque tous les jeunes gens de ma génération ont fait de la prison militaire à cause de leurs convictions religieuses. Certains ont été traduits en conseil de guerre (cour martiale) et ont passé des années en prison. Le mariage faisait apparaître une autre difficulté, puisquil devait être approuvé par un évêque, ce que lon nobtenait, normalement, que pour les mariages catholiques. On passait des années à attendre en se désespérant. Ceux qui lont pu sont allés se marier à létranger ce que jai fait. Mais certains ont succombé à une telle pression. Votre thèse de doctorat porte sur lInquisition. Auriez-vous pu traiter ce sujet à vos débuts ? Non. Les archives de lInquisition espagnole nétaient ouvertes quaux chercheurs ayant reçu lautorisation de lEglise catholique romaine. A lépoque, les études sur lInquisition étaient de nature strictement apologétique, au sens quon cherchait à justifier les fondements historiques de cette institution. Pendant des siècles, ce fut un sujet tabou. Aucun professeur duniversité naurait osé diriger une thèse là-dessus, soit parce quon estimait que le sujet était sans intérêt, soit par crainte de la censure idéologique. Avez-vous eu part à la création dAEGUAE, qui est lassociation espagnole des étudiants et universitaires adventistes ? Bien que linitiative soit venue des étudiants membres de nos Eglises de Catalogne, jai tout de suite compris que ce projet méritait le soutien total de ladministration de lEglise. Il importait de créer une organisation au sein de laquelle nos intellectuels se sentiraient représentés, où ils pourraient exprimer leurs préoccupations, étudier nos doctrines fondamentales de manière approfondie et élaborer les modalités nécessaires dune contribution loyale aux objectifs généraux de lEglise. Les fondations en furent posées et il ny a jamais eu de rupture entre lassociation et ladministration de lEglise. AEGUAE a célébré son 25e anniversaire cette année avec un colloque et des invités venant de tous les pays dEurope. Le thème en était « Bible et culture méditerranéenne ». Vos rapports privilégiés avec le roi et la reine dEspagne sont bien connus. Comment cela a-t-il débuté et où en êtes-vous ? Début 76, en signe du vent nouveau qui soufflait sur lEspagne (Franco était décédé en 1975), notre Eglise fut invitée à organiser un séminaire sur ladventisme au département des Sciences humaines de lUniversité de Madrid. La reine y était étudiante et venait à tous les cours. A la fin de notre séminaire, elle exprima le désir de rendre visite à notre église de Madrid. Elle y vint un sabbat, de surcroît un jour de sainte cène. Elle fut touchée par cette expérience. Quelque temps plus tard, elle demanda que je fasse partie de léquipe denseignants de la fondation « Science et pensée contemporaines », qui organise, pour elle et pour un groupe de personnes sélectionnées, des séminaires et des colloques sur des questions dactualité. Voilà près de vingt ans que je prends une part active à ce groupe, témoignant pour notre foi à chaque opportunité possible, défendant la liberté religieuse et mettant laccent sur les valeurs spirituelles dans un contexte de sécularisation. Je rencontre le roi lors de réceptions annuelles en lhonneur décrivains espagnols à loccasion de la remise du prestigieux Prix Cervantes. Lan dernier, Safeliz, la maison dédition adventiste dEspagne, a publié un livre sur la reine, écrit par la présidente de la fondation dont je viens de parler. Un des chapitres relate en détail, photos à lappui, sa visite à lEglise adventiste de Madrid. Aujourdhui, en Espagne, les Eglises minoritaires jouissent dune liberté religieuse impensable quarante ans plus tôt. Ce modèle espagnol peut-il exercer son influence sur dautres pays de culture hispanique ? Jen ai lespoir ; dailleurs, quelque chose est déjà en train de se produire. De 1978 à 1992, procédant par étapes, on est parvenu en Espagne à un accord conforme à la Constitution et passé avec les protestants, les juifs et les musulmans. Il existe dans ce pays une nette séparation entre lEglise et lEtat, la pluralité religieuse y est officiellement reconnue et les droits fondamentaux de chaque religion, ainsi que la pratique religieuse, en privé comme en public, sont garantis par lEtat. LEglise adventiste espagnole a vécu courageusement à lépoque où elle était à peine tolérée. Quels défis doit-elle relever dans le climat actuel de liberté ? Le grand défi pour lEglise, dans tous les pays sécularisés, est lévangélisation comment faire pour que lEvangile atteigne lhomme et la femme post-modernes. En maintes occasions, nous navons pas su nous adapter à un contexte social nouveau, ni identifier les vrais besoins des gens avant dy répondre. Par ailleurs, et paradoxalement, nous sommes gravement en danger de perdre notre identité, de nous laisser aller à une uniformisation cuménique globale. Vous êtes enseignant/chercheur/évangéliste. Et maintenant, vous consacrez la plupart de votre temps à des tâches administratives. Ne vous sentez-vous par parfois frustré ? Est-il difficile, alors quon sert comme secrétaire de division, de préserver la vision perçue au moment de sa vocation ? Ma vocation première nest pas préci-sément dêtre enseignant, chercheur, évangéliste, ou administrateur dEglise. Elle consiste à être un serviteur de Dieu et de son Eglise, ce qui se retrouve pleinement dans chacun de ces ministères. Bien que je reconnaisse lexistence des dons spirituels et des talents personnels, je me méfie des vocations restrictives, qui limitent la disponibilité des serviteurs de Dieu. Jaccepte la nécessité dune spécialisation au sein de lEglise, mais seulement si cest un instrument daccomplissement de la volonté de Dieu. Cest pour cela que je ne me suis jamais senti frustré dans mes différents ministères. Dun point de vue réaliste, que pourrait-on encore faire dinédit en faveur des intellectuels adventistes dEspagne ? Il serait profitable, me semble-t-il, dorganiser de temps à autre des cours ou des séminaires, adaptés à leur type de formation, qui leur permettraient dallier dans diverses disciplines, sans conflits intérieurs, les exigences de la science et celles de la foi. Il faudrait quon leur fournisse les moyens nécessaires afin que le plus grand nombre puissent y participer. Les intellectuels méritent quon leur accorde une attention toute spéciale. Tout investissement fait en leur direction sera comme la graine semée en « bonne terre » (Matthieu 13.23). Propos recueillis par Pietro E. Copiz. Né en Roumanie, Pietro E. Copiz (Ph.D., University of Michigan) a servi lEglise comme professeur duniversité et directeur du département de lEducation de la Division eurafricaine des adventistes du septième jour, avant de prendre sa retraite non loin de Berne, en Suisse. E-mail : 104474.3026@compuserve.com Adresse de Carlos Puyol : Schosshaldenstrasse 17 ; 3006 Berne ; Suisse. E-mail : 104474.13@compuserve.com |