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Édition papier

La grâce à 10 000 mètres d’altitude

Je suis avocat. Les avocats raffolent des questions. En fait, la faculté de Droit nous enseigne que les questions sont plus importantes que les réponses.

Un jour, Jésus posa la meilleure question qui soit, à mon sens. C’était au cours de la dernière semaine avant sa crucifixion. Prêtres, scribes, pharisiens et sadducéens l’interrogeaient dans l’espoir de le prendre en défaut et de détruire ainsi son autorité.

Las de leur manège, Jésus adressa une question aux pharisiens : « Que pensez-vous du Christ ? De qui est-il le fils ? […] Personne ne put lui répondre un mot. Et, depuis ce jour-là, personne n’osa plus l’interroger » (Matthieu 22.42,46, NBS).

« Que pensez-vous du Christ ? » Voilà l’ultime question. Une réponse rapide ne saurait suffire. Ce que nos parents, nos grands-parents, notre mari, notre femme ou encore nos amis en pensent ne la règlera pas. Personne ne peut se présenter à votre place ou à la mienne pour y répondre, parce que soit Jésus-Christ est notre Sauveur et Seigneur personnel, soit il ne nous est rien.

Jésus affirme que nos bonnes œuvres — même aussi excellentes que la prédication de l’Évangile, le don de prophétie et le pouvoir d’exorciser les démons — ne nous sauveront pas. La réponse à l’ultime question et la clé du royaume de Dieu se trouvent dans une relation personnelle avec lui (Matthieu 7.21-23 ; Jean 17.3). Et je sais que cela est vrai.

J’ai grandi au sein d’un foyer chrétien, fréquenté des écoles chrétiennes et épousé une chrétienne. Mes efforts scolaires furent couronnés de bourses, de récompenses et d’un emploi satisfaisant. En 1989, j’étais un jeune avocat à la carrière prometteuse : directeur associé de mon cabinet d’avocats, conseiller municipal et père d’un enfant de deux ans. Je consacrais mon temps libre, avec l’aide de ma femme, à la rénovation d’une vieille maison. Le grand rêve américain, quoi !

Mais un vide persistait dans ma vie. Totalement consumé par le travail, inconscient de quoi que ce soit d’autre, j’étais en faillite spirituelle. Je représentais une confession chrétienne et son université la plus prestigieuse, mon alma mater. Mais l’institution étant en guerre civile au sujet de son avenir, je me retrouvais, en tant que son conseiller légal, en plein milieu des hostilités. Pour moi, la religion était une entreprise, une mauvaise entreprise.

Au fil des multiples convocations, des signes précurseurs de problèmes se manifestèrent : explosions de colère, larmes d’une tristesse sans nom.

Conjuguer avec le monde intérieur

Je dus me rendre au siège social de l’Église pour une réunion. Dans l’avion, une lecture m’apparut la meilleure chose à faire pendant le trajet. Je pensai d’abord à lire un roman, mais quelque chose en moi me poussa à dire non. Le deuxième livre de la pile s’intitulait Ordering Your Private World (Gouverner votre monde privé), de Gordon MacDonald (Oliver-Nelson, 1985). Mon frère m’ayant déjà parlé de cet ouvrage, je venais juste de le commander, croyant qu’il portait sur la gestion du temps. À ma surprise, il s’agissait d’un livre chrétien !

Selon l’auteur, chacun de nous possède un monde intérieur du cœur et de l’âme où notre estime de soi est formée, et où les décisions fondamentales au sujet des mobiles, des valeurs et des engagements se prennent. C’est l’espace intérieur où nous communions avec Dieu. Il est composé de cinq secteurs : la motivation, le temps, la croissance intellectuelle, l’esprit, et la paix du sabbat. Si ces secteurs intérieurs sont correctement centrés sur le Christ et exercés par une discipline spirituelle et intellectuelle, notre monde extérieur des relations humaines sera également en santé. Si ce monde intérieur n’est pas gouverné, nous pouvons nous désintégrer par le stress et par le dysfonctionnement.

Gordon MacDonald compare l’ambition du roi Saül à l’appel de Jean-Baptiste. L’ambition peut nous coincer dans la recherche effrénée du succès, nous laissant spirituellement vides, nous conduisant à un effondrement spirituel et moral désastreux. Quelques pages me suffirent pour réaliser que l’auteur parlait de moi. Je poursuivis ma lecture avec un mélange de curiosité et de crainte.

Arrivé à l’hôtel, dans le Maryland, je regardai les séries éliminatoires de baseball de la côte Ouest, puis lus encore un peu. Le lendemain matin, alors que j’avais repris le fil de ma lecture, je me dis que je ferais bien de prier. Mais il y avait un problème : tout chrétien de longue date que j’étais, diplômé d’écoles chrétiennes, fils de parents chrétiens pieux, je n’arrivais pas à prier ! Que dire à Dieu lorsque vous n’êtes pas en train d’essayer de passer un examen, de gagner une cause, ou de conclure une affaire ? Je fis les cent pas dans une frustration croissante. Je n’arrivais pas à prier. Finalement, je laissai échapper quelque chose d’incohérent, ressemblant à ceci : « Seigneur, j’aimerais te parler, mais je ne sais pas comment. »

La journée s’écoula dans le tourbillon des affaires, sans que le conflit institutionnel ne soit, hélas, résolu. Au matin suivant, même scénario : lecture succédée d’une difficulté à prier. L’heure du retour ayant sonné, je m’envolai d’abord vers Chicago où il me fallait faire escale. À 13 heures, juste après avoir quitté l’aéroport international O’Hare, je lus cette prière de Samuel Logan Brengle, un vieil évangéliste de l’Armée du salut, citée par Gordon MacDonald :

« Garde-moi, ô Seigneur, de glisser mentalement et spirituellement dans la monotonie et dans la stupidité. Aide-moi à garder la fibre physique, mentale et spirituelle de l’athlète, de l’homme qui renonce à lui-même quotidiennement pour prendre sa croix et pour te suivre. Accorde-moi le succès au travail, mais soustrais-moi à l’orgueil. Sauve-moi de la complaisance qui accompagne si fréquemment le succès et la prospérité. Sauve-moi de l’esprit d’indolence, d’indulgence envers moi-même, alors que les infirmités physiques et la déchéance rampent autour de moi » (p. 151).

J’occupais le fauteuil près du hublot. L’avion ne cessait de prendre de l’altitude. Tandis que je lisais cette prière, j’entendis une voix distincte, celle de Dieu me disant : « Tu es convaincu de péché. Ton orgueil et ton indisponibilité ont étouffé ma présence dans ta vie, et assassiné ta relation familiale. Ne crois-tu pas que je puisse me charger de l’université et de tout ce qui te préoccupe ? Fais-moi confiance. »

C’était donc ça ! Je me tortillai sur mon siège, en proie à des palpitations. Stupéfait, je mis le livre de côté et regardai fixement le hublot. Cette révélation, d’une véracité accablante, m’affecta physiquement au cours des mois suivants. J’éprouvai une vive douleur, comme si j’avais été brûlé de l’intérieur. Que faire, sinon céder à la présence d’un Dieu qui venait de m’écraser avec l’énorme camion de la grâce ?

Lorsque l’avion atterrit à Ontario, en Californie, je sus que je devais raconter ce qui venait de se passer à Patricia, ma femme. Comme j’entrais dans la cour, elle vint à ma rencontre.

— Nous devons aller chercher Andrew chez la gardienne, dit-elle.

— D’accord. Mais avant, je dois te dire quelque chose.

— Ça ne va pas ?

— Eh bien, oui et non.

Au salon, je lui racontai ce qui s’était passé. Puis j’ajoutai : « J’ai gaspillé chaque parcelle de talent de direction et d’organisation que Dieu m’a donnée. Je fais des tas de choses et, comme si cela n’était pas assez, je persiste à lancer de nouvelles organisations. Je ne prends même pas la peine de soumettre à Dieu mes projets.

« C’est toujours la même chose : rentrer tard, manger, jouer un peu avec Andrew, m’enfermer dans le bureau, travailler jusqu’à minuit passé, nuit après nuit. Il n’y a que moi qui agisse ainsi dans l’entreprise. Je le fais juste pour montrer que je peux tout faire, et plus encore. Je te rejoins bien après que tu te sois endormie, et suis debout avant que tu ne t’éveilles.

« Tu es malade et tu te bats contre la perte de ta vue. Lorsque tu es fâchée et perturbée à ce sujet, je ne fais que te renvoyer en disant : “Ne te décharge pas sur moi, d’accord ?” »

Je regardai Patricia. « Je regrette d’avoir été si égoïste, je le regrette tellement que mes os m’en font mal. Tout cela va devoir changer. Ton aide, tu sais, me serait d’un grand secours », murmurai-je.

Elle me regarda un moment, puis me dit : « Voilà longtemps que nous avons perdu le contrôle de la situation. Notre mariage, d’abord fantastique, est devenu banal. Je veux m’unir à toi dans ces changements. »

Nous inclinâmes la tête et priâmes ensemble. Puis le moment vint d’aller chercher notre fils.

Les changements furent immédiats et durables. Je développai un appétit vorace pour la parole de Dieu. Dieu ne négligea aucun aspect de notre vie. Depuis, aux trois croyants pratiquants de mon bureau se sont ajoutés quinze autres qui ont accepté le Christ ou ont renoué leur relation avec lui. Tout cela s’est passé en douceur, sans faire de prosélytisme. La prière, l’encouragement et le témoignage d’une vie changée ont de la puissance. Je me suis retiré de huit conseils d’administration et comités en un seul jour. Ma vie est devenue centrée sur le Christ et sur le temps paisible que je prends à étudier et à prier en sa compagnie, chaque matin.

Dieu n’a pas changé ma vie sur un banc d’église ni dans une salle de classe, mais dans ce monde réel où j’aime ma femme, joue avec mon fils, conclus des affaires, plaide des causes et rédige des contrats. Je vous dirai qu’après la dévastation de la grâce, je suis plus sûr de Dieu que jamais, et moins sûr de toute autre chose. À chaque tournant de la route, Dieu est devenu plus grand à mes yeux, plus compatissant que je ne l’avais pensé auparavant. Tout le reste continue de flétrir. Je l’ai supplié pendant un moment de laisser certaines choses tranquilles, mais il demeure inflexible dans sa grâce transformatrice. Jamais je ne pourrais faire marche arrière.

Vous tarde-t-il d’emprunter le même chemin tandis que vous luttez pour savoir comment aller plus loin ? Essayez de dire à Dieu ce que je lui ai dit dans cette chambre d’hôtel : « Seigneur, j’aimerais te parler, mais je ne sais pas comment. » Si vous le faites, je crois que vous recevrez la réponse à l’ultime question.

Kent Hansen est avocat, spécialiste du droit des affaires, dans le sud de la Californie. Il est également conseiller général auprès de l’université et du centre médical Loma Linda. Cet article est un extrait de son livre Grace at 30,000 Feet, and Other Unexpected Places (Hagerstown, Maryland : Review and Herald Publishing Association, 2002). Son adresse : Loma Linda University, Loma Linda, California, 92354, USA.


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