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Comment réagir à une offense ?

« Si ton frère a péché contre toi, va et reprends-le seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère » (Matthieu 18.15, NBS).

Collette Malreux se lève péniblement. Tout son corps lui fait mal et son visage est couvert de bleus. La nuit dernière, Pierre, son mari, l’a battue, pris de rage. Elle se contemple dans le miroir et étale une épaisse couche de maquillage sur ses hématomes et sur les parties gonflées de son visage. Elle ramène ses cheveux sur un côté pour couvrir un œil au beurre noir, tentant de se rendre présentable pour aller au travail.

Jacques est furieux. Jean-Luc, son collègue de travail, a présenté une proposition au comité directeur de leur entreprise, ce qui lui a donné de l’importance au sein de la maison et lui a valu une augmentation de salaire. Mais Jacques est en colère parce que l’idée à la base de cette proposition était la sienne et qu’il en avait fait part à Jean-Luc lors d’une conversation amicale. Il passe ses journées à méditer sa revanche, voulant châtier son traître de collègue.

Odette reçoit un appel anonyme. On lui dit qu’André, son mari, la trompe avec sa secrétaire. Quand André rentre du travail, elle le confronte à son infidélité — expérience traumatisante pour leur mariage. Après de longues semaines de thérapie conjugale et de nombreuses conversations, ils parviennent à surmonter cette crise. Aussi douloureuse qu’elle ait été, cette expérience, admettent-ils tous deux, a contribué à renforcer leur mariage.

Examinons ces trois réactions à des situations d’offense. Collette subit la violence, la camouflant avec deux cosmétiques — le silence et la dissimulation — ce qui nourrit et perpétue la situation. Blessé, Jacques réagit avec agressivité, suivant le principe « œil pour œil, dent pour dent ». Odette affronte avec courage sa crise et la douleur qui l’accompagne, afin de sauver son mariage. Nous avons là trois réactions typiques à la douleur de l’offense : attitude passive, réaction agressive et conduite sociale proactive de négociation et de réconciliation.

Depuis 1992, avec un groupe de collègues de l’université adventiste de River Plate, en Argentine, nous observons la manière dont les gens réagissent aux offenses, les troubles provoqués par les frictions interpersonnelles et les modalités permettant de surmonter les disputes (Moreno et Delfino, 1993 ; Pereyra, 1996, 2003 ; Moreno et Pereyra, 1999, 2000, 2001). Nos recherches ont révélé l’existence de huit attitudes caractéristiques. Les attitudes sont des formes distinctes de comportement qui reflètent différents états de l’émotion, de la pensée et de la volonté. On peut définir comme suit ces huit-là.

Huit attitudes

1. Soumission : acceptation passive de l’insulte, avec subordination de la personne à la critique ou à l’attitude de reproche de l’offenseur et invention de justifications pour se faire humble ou se diminuer soi-même — exemples : « Je le mérite » ou « C’est de ma faute ».

2. Déni : exclusion consciente hors de la mémoire des idées ou sentiments associés au mal subi ; efforts pour « oublier tout ça ».

3. Réaction hostile : prédisposition à réagir immédiatement avec violence, en attaquant l’agresseur sur le même mode que le sien ; attitude primaire qui peut soulager de son ressentiment le sujet concerné mais qui aggravera probablement le conflit avec la personne cible de ce coup d’émotion.

4. Revanche : « œil pour œil, dent pour dent ». Recherche et planification délibérées de la vengeance, pour tenter de faire subir à l’offenseur un sort similaire ou plus grave que celui enduré par le sujet. Cette façon de réagir diffère aussi de l’attitude précédente en ce qu’elle n’est pas immédiate — un grand laps de temps pouvant s’écouler avant que ne s’exercent les représailles.

5. Ressentiment : tendance à accumuler des sentiments de colère et de haine, avec remémoration fréquente du mal subi, maintien de comportements d’animosité et de rancœur envers la personne coupable sans pour autant se livrer à des actes vengeurs proprement dits comme dans l’attitude de revanche décrite ci-dessus.

6. Explication : confrontation avec l’offenseur pour obtenir une explication, une justification ou un motif de son action, afin de surmonter la discorde par le dialogue et de « clarifier la situation ».

7. Pardon : cette attitude est elle aussi centrée sur la communication mais parvient à la compréhension pour dégager de manière satisfaisante les causes de la dispute ; le sujet se refuse à toute action hostile, à la vengeance ou à la rancœur.

8. Réconciliation : surmonter la discorde par le dialogue et grâce à une prédisposition au pardon, tout comme dans les deux attitudes précédentes, mais avec en plus l’intention de restaurer des liens d’affection avec l’offenseur, pour rétablir une bonne relation.

Quand nous avons pratiqué l’analyse statistique de centaines d’études réalisées avec un test conçu pour la mesure de ces attitudes (Questionnaire d’attitudes en situation d’offense, ou QASO [Moreno et Pereyra, 2000]), auquel s’étaient soumis des gens des deux sexes d’âges divers et aux situations maritales, aux croyances et aux origines différentes, nous avons découvert que ces formes spécifiques de réaction correspondaient à trois grands modèles primaires.

Trois réactions comportementales générales

En d’autres termes, lorsque nous sommes victimes d’un affront, nous réagissons selon l’une de ces trois modalités générales de comportement, comme ce fut le cas pour Colette, Jacques et Odette. La première présente les attitudes de soumission et de déni, ce que l’on peut interpréter comme une tendance à intérioriser les impulsions hostiles, à les réprimer ou à les nier. C’est le cas de la personne qui « ravale » ou contrôle étroitement ses émotions, montrant au dehors une apparence de calme, « prenant les choses avec courage ».

La seconde modalité générale de réaction correspond à des comportements d’hostilité, de revanche et de ressentiment. À la différence des comportements de soumission, cette tendance fait la part belle à l’agression, quand on s’assure de bien faire du mal à ceux qui nous en ont fait. Elle implique des « explosions » et des moments où l’on est bouleversé, qui alimentent la colère jusqu’à ce qu’elle puisse être libérée.

La troisième forme de réaction canalise les émotions par le dialogue et la négociation. Elle embrasse les trois dernières attitudes décelées — explication, pardon et réconciliation et consiste à chercher à surmonter les conflits, à préserver de bonnes relations interpersonnelles et à gérer le problème par la communication, comme l’a fait Odette.

Résultats de la recherche

De multiples études scientifiques indiquent que tant la répression et le déni de l’agression (premier mode général de réaction) que l’extériorisation violente des émotions hostiles (second mode général de réaction) peuvent se trouver associés à de graves troubles physiques et mentaux. On peut donc en déduire que les comportements de dialogue, de pardon et de réconciliation sont plutôt liés à une bonne santé. Lors d’une étude menée sur un échantillon de 126 jeunes adultes normaux, on a découvert que ceux qui disaient souffrir d’une plus grande proportion de symptômes psychosomatiques figuraient sur des échelons plus élevés des échelles de revanche et de rancœur ; par contraste, ceux dont les réactions relevaient plutôt du pardon ou de la réconciliation ont présenté une corrélation négative avec des symptômes « névrotiques » (Pereyra et Kerbs, 1998).

Une autre étude, menée par A. Barchi (1999) a comparé des patients ayant fait une tentative de suicide avec un échantillon de contrôle. Barchi a découvert que le groupe des suicidaires se situait à des niveaux significativement plus élevés sur trois échelles d’agressivité. On a observé le même résultat lors d’une étude de patients en dialyse pour déficience rénale chronique (Pereyra, Bernhardt et Fontana, 1999).

La documentation sur ce thème fait apparaître que ceux qui n’expriment jamais leurs émotions mais les accumulent au plus profond d’eux-mêmes sont les plus prédisposés au cancer. Pareillement, la libération de la colère sur un mode explosif, émotionnellement violent, peut aussi provoquer des affections telles que les crises cardiaques ou d’autres symptômes cardio-vasculaires.

La documentation existante a défini les « personnalités de type A » comme des personnes réactives, emphatiques, qui explosent facilement une fois provoquées. Parmi elles, on note une fréquence certaine des cas de crises cardiaques, d’embolies cérébrales ou d’autres troubles cardio-vasculaires graves. Ces informations ne permettent pars nécessairement de prévoir ce qui va arriver à quelqu’un, mais montrent seulement une corrélation entre les tendances de la manière de réagir aux agressions et les tendances pathologiques.

Pour étudier cette corrélation, nous avons proposé le QASO à plus de 50 patients des deux sexes souffrant de différents types de cancer et à 50 autres qui souffraient de diverses maladies cardio-vasculaires. Les résultats de cette étude correspondent bien à ce que l’on trouve dans les publications sur le sujet ; les différences étaient significatives pour les trois facteurs, en particulier dans le cas des « réactions passives » où l’occurrence d’attitudes soumises était significative chez les patients atteints de cancer. Par ailleurs, si les membres du premier groupe cité adoptaient fréquemment une position de déni, les cardiaques se montraient plus hostiles et prompts à la rancœur, allant même plus loin encore dans ce sens quant à leur rapport avec Dieu, comme s’ils le blâmaient pour leurs souffrances et pour leur maladie (Moreno et Pereyra, 2000).

Enfin, une autre étude des plus intéressantes (ibid.), basée sur un échantillon de 863 personnes de cinq pays du continent américain et d’orientations religieuses différentes, a fait apparaître que celles qui admettaient posséder des convictions et des coutumes religieuses bien vivantes présentaient, en contraste avec celles qui n’en avaient pas, des degrés très différents dans tous les types d’attitude face à une offense. C’est en matière de réaction agressive que ces différences étaient le plus marquées. Les personnes non religieuses présentaient le niveau le plus élevé de désir de revanche, de rancœur et d’hostilité, alors que les croyants faisaient montre d’un degré plus élevé de prédisposition à la soumission et au déni, ainsi que des comportements tendant au dialogue et à la quête du pardon et de la réconciliation.

Une perspective biblique

La Bible ne cesse de nous surprendre avec ses concepts qui nous étonnent et nous éclairent. Les résultats des recherches que nous avons présentés jusqu’ici viennent conforter ce que la parole de Dieu nous dit à propos des relations entre êtres humains. Dans le sermon sur la montagne, Jésus s’est élevé avec sévérité contre l’usage de l’insulte et de l’agression. Il en a fait un objet de jugement, méritant d’être condamné. Qui offense un « frère » devra paraître non seulement devant un simple juge mais aussi devant quelqu’un de plus haut, avec à la clé une sentence plus grave : il « sera passible de la géhenne de feu » (Matthieu 5.22, NBS).

L’agression consume celui qui la perpètre et il est impératif, à ce titre, d’y remédier promptement en faisant le nécessaire pour se réconcilier avec la victime. Pour souligner le caractère urgent et obligatoire de la restauration d’une relation endommagée, la Bible déclare que l’on doit accorder à ce devoir un degré de priorité supérieur même à l’accomplissement des obligations religieuses, telles qu’apporter une offrande à l’autel (versets 23, 24). La loi suggère que, si l’on ne parvient pas à obtenir la réconciliation avec un adversaire, on doit s’efforcer de parvenir à un accord avec lui, afin que la situation n’aboutisse pas devant un juge (versets 26, 27). On appellera « réconciliation » cette formule de résolution des conflits, ou « médiation » s’il y a intervention d’un tiers.

Mais que peut-on faire si, malgré tout cela, l’agresseur ne remplit pas son devoir, qui est de prendre l’initiative de mettre un terme au conflit, ou s’il n’en a peut-être pas conscience ? L’Écriture prévoit aussi pareille situation. Dans Matthieu 18, Jésus revient sur le sujet, admonestant la victime : « Si ton frère a péché contre toi, va et reprends-le » (Matthieu 18.15). C’est à celui à qui l’on a fait du tort qu’échoit alors la responsabilité de faire cesser le conflit. En pratiquant une lecture conjointe de Matthieu 5 et 18, on comprend que c’est en premier lieu à l’agresseur qu’il revient de résoudre le problème, mais que si, après un laps de temps raisonnable, il n’a toujours pas agi en ce sens, c’est alors la victime qui doit prendre l’initiative afin de parvenir à un accord. Pour y parvenir, la Bible recommande de passer par une série d’étapes (versets 16, 17).

Nos recherches montrent que ceux qui jouissent d’une conviction religieuse ont tendance à résoudre les conflits interpersonnels par le dialogue privé, tout comme l’a conseillé le Christ. Mais une proportion élevée de gens préfère néanmoins oublier la dispute, mettre de côté les divergences et continuer comme si de rien n’était, pensant que là réside la meilleure solution.

Il arrive pourtant que le silence intensifie la douleur et renforce les murs de séparation. Le dialogue, à l’opposé, nous aide à maîtriser les turbulences de nos émotions, à parvenir à l’harmonie et à préserver les relations interpersonnelles de la dissolution. Pour accomplir ces objectifs, le dialogue doit se dérouler dans des conditions appropriées, une fois que la colère est calmée et quand la réconciliation est en mesure de surmonter les malentendus, pour la sauvegarde de l’amitié. Le maintien d’un réseau ouvert de relations amicales et satisfaisantes avec nos voisins est favorable à une bonne santé mentale. Cela contribue à préserver un sentiment de bien-être et à garder intacte notre joie de vivre.

C’est pourquoi qu’il est bon de se souvenir de l’exhortation de Paul : « S’il est possible, pour autant que cela dépende de vous, soyez en paix avec tous » (Romains 12.18, NBS).

Mario Pereyra (doctorat de l’université de Córdoba) dirige le département de psychologie clinique de l’université de Montemorelos, au Mexique. On peut le joindre par le site www.mariorpereyra.com.

RÉFÉRENCES

A. Barchi (1999), « Organización familiar, agresividad y esperanza en intentos de suicidio », thèse, université adventiste de River Plate, Libertador San Martín, Argentine.

E. Moreno et C. Delfino (1993), « Estudio sobre el significado referencial de la noción de perdón », Enfoques 5:12, p. 54-65.

E. Moreno et M. Pereyra (1999), « Aplicaciones clínicas del CASA. Estudio comparativo con pacientes cardiológicos, oncológicos, renales crónicos y psiquiátricos con intento suicida », contribution au XXVIIe Congreso Interamericano de Psicología, Caracas, Venezuela.

E. Moreno et M. Pereyra (2000), Cuestionario de actitudes frente a situaciones de agravio : Fundamentación teórica. validación y administración. Université adventiste de River Plate, Argentine.

Moreno E. et Pereyra M. (2001). « Attitude toward offenders scale : Assessment, validation and research », in Manuela Martínez, éd., Prevention and Control of Aggression and the Impact on its Victims (New York : Kluwer Academic/Plenum Publishers), p. 377-384.

M. Pereyra (1996), Estrategias y técnicas de reconciliación. Psicoteca Editorial, Buenos Aires, Argentine.

M. Pereyra et M. Agüero de Kerbs (1998), « Personalidad, esperanza-desesperanza, control de la agresividad y salud mental en adventistas y no adventistas », Theologika 12:2, p. 330-355.

M. Pereyra, E. Bernhardt et A. Fontana (1999), « Esperanza-desesperanza y manejo de la agresividad en pacientes renales crónicos en hemodiálisis », Psicología y Salud 113, p. 63-71.

M. Pereyra (2003), Reconciliación : Cómo reparar los vínculos dañados. Publication de l’université de Montemorelos, Montemorelos, Mexique.


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