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La voix qu’il m’a donnée Charles Ngandwe, rapporté par Anita Marshall Je suis né en Zambie. Mon grand-père maternel s’appelait Kafuti, et ma grand-mère Kasongo Mwelwa. Je ne connais ni la date ni le lieu de leur naissance. Tout ce que je sais, c’est que mon grand-père naquit en 1900, et fut initié en tant que Chef Mwata Kalumbu en 1930 environ, position qu’il occupa jusqu’à l’âge de 100 ans, quand il rendit son dernier soupir. Ma mère était lépreuse. Sa maladie était cependant sous contrôle grâce aux médicaments. Elle n’eut donc pas à souffrir le défigurement et la perte de certains membres que provoque cette redoutable maladie. Elle se maria, mais mon père la quitta avant qu’elle sache que j’étais en route. Les plus pauvres des pauvres, c’était nous. Pour vivre, nous dûmes nous contenter d’un cimetière au Congo. Des vents violents fouettaient notre cabane, et leur sifflement ressemblait souvent aux cris désespérés de personnes en train de se noyer. La nuit, d’étranges visiteurs se présentaient chez nous, et moi, j’étais impitoyablement battu. Pourquoi de si mauvais traitements déferlaient-ils sur l’enfant innocent que j’étais ? Notre retour en Zambie se produisit alors que j’étais âgé de 7 ans. Pour vous donner une petite idée de notre pauvreté, permettez-moi de vous parler d’un tubercule, le manioc. Il peut peser 10 kilos. Il contient une racine qu’il faut ôter avant de réduire le manioc en farine, sinon elle la gâterait. Cette racine est utilisée pour enduire les planchers des maisons, ou brûlée pour se débarrasser des moustiques. Elle ne possède pas une grande valeur nutritive, mais c’était tout ce que nous avions à manger et, par la grâce de Dieu, cela suffit à notre survie ! Je fus inscrit dans une école catholique. Cependant, le stress de n’avoir jamais suffisamment à manger, et le manque de literie et de vêtements convenables me firent hériter d’une santé fragile. Bien que souffrant d’asthme, j’adorais chanter. Plus tard, je fis même partie d’un chœur d’hommes à l’école, et chantais souvent à l’église adventiste à laquelle j’appartenais. Un jour, une crise d’asthme sévère me fit jeter à genoux. Des amis vinrent à mon chevet et prièrent, tandis que je suppliais mon Dieu : « Seigneur ! je t’en prie, guéris-moi de l’asthme et conserve ma voix, ou retire-moi ma voix et laisse l’asthme ! » Soudain, j’eus l’impression que quelqu’un versait sur moi de l’eau glacée. Quelques minutes plus tard, je courais pour me rendre à l’église située à un peu plus de 3 kilomètres. Ce jour-là, je devais chanter, et on ne me compterait certainement pas au nombre des absents ! Dieu me délivra de l’asthme pour toujours. Je le remerciai ainsi : « Seigneur, ma voix t’appartient ! Par elle, je louerai ton nom ! » Six années s’écoulèrent après mon baptême en juillet 1974. Ma vie spirituelle passait par une vague de découragement. J’étais sans travail, et je n’épousai finalement pas la femme que je fréquentais. Quel désespoir ! Puis, je reçus une lettre. L’auteur expliquait qu’il avait entendu parler de ma voix… Accepterais-je d’être la basse du quartet masculin de son église ? Mais bien sûr !! Ma foi reprit des forces. Dans mon nouvel environnement, on me donna du travail comme chauffeur de taxi. Cependant, un coup de couteau administré à mon siège me convainquit de changer de direction, une fois de plus. Je décidai de déménager en Afrique du Sud pour poursuivre mon rêve : chanter. Idée folle ! J’étais pauvre, mais grâce à l’intervention divine, des occasions, trop nombreuses pour être énumérées ici, me furent données. Je me retrouvai au Cap, en Afrique du Sud. Sans le sou, sans ressources, ne possédant que quelques vêtements, je sentais pourtant que mon rêve était sur le point de se réaliser. Sur le trajet de la gare à l’université Helderberg, la beauté des lieux me fascina. Pour une fois, j’oubliai toute l’appréhension que j’avais nourrie pendant mon long voyage. Tout se passerait bien. Je fermai les yeux et remerciai le Seigneur de m’avoir conduit à cet endroit merveilleux. Tandis que je pénétrais dans le bureau d’une dame qui serait ma tutrice, elle bondit de son siège et s’exclama : « Je ne peux le croire ! Après avoir entendu votre voix sur un enregistrement, je m’attendais à rencontrer un homme à la stature imposante ! Se peut-il qu’une voix aussi extraordinaire sorte d’un homme aussi maigre ? » L’enregistrement auquel Mme Dunbar se référait lui avait été envoyé par l’un de mes amis, Darryl. Comme la conversation se poursuivait à propos de mon long voyage jusqu’à l’université, devinez un peu qui entra dans la pièce… Darryl lui-même ! Il entoura mon corps amaigri de ses longs bras et me pressa sur son cœur, ne cessant de me répéter combien il était heureux de me voir enfin arrivé. Le lendemain, mon enthousiasme ne connut plus de borne tandis que j’entamais ma première leçon de chant avec ma tutrice — au point que, la nuit venue, le sommeil tarda à venir ! Cette première leçon est si profondément gravée dans mon esprit que je pourrais vous donner le moindre détail à partir du moment où elle me demanda de dire « Ah ! » et me présenta tous les objectifs du chant, le but de l’entraînement vocal, l’engagement et la discipline, puis m’expliqua combien le chant élargit la culture en fournissant le discernement des pensées et des sentiments des autres peuples, combien il enrichit l’imagination, améliore la santé par de profondes inspirations, développe la confiance personnelle, et donne du plaisir à soi-même et aux autres — et, oh ! encore tant d’autres choses que je ne peux raconter ici ! Il suffit de dire que cette première leçon de 30 minutes ouvrit une telle fenêtre sur le monde du chant que j’en étais tout étourdi. Je me demandai si je serais capable de me montrer à la hauteur des attentes que l’on nourrissait à mon sujet… En m’imposant le calme, je me dis : « Me voilà devant le professeur pour lequel j’ai fait un si grand trajet. J’appliquerai à la lettre toutes ses recommandations. » À mon arrivée à l’université Helderberg, les préparatifs pour une tournée de chant du Cap à Pretoria allaient bon train. Mme Dunbar décida que je devais y prendre part. Mais d’abord, il me fallait passer l’audition. Tandis que je me tenais devant un professeur et un auditoire très exigeants, on aurait presque pu toucher l’espoir que les auditeurs plaçaient en moi. Plus tard, Mme Dunbar admit que ses mains étaient devenues moites ; elle ne se doutait pas à quel point je pouvais me surpasser ! Après mon audition, ma vieille enseignante s’essuya les yeux et me dit : « Depuis que Paul Robeson est mort en 1976, je n’ai jamais entendu une voix d’une telle qualité. » Elle était enchantée. Nous rentrâmes à l’université, éblouis de l’impact que j’avais eu non seulement sur le professeur mais aussi sur l’auditoire. La tournée débuta par une représentation à guichet fermé à l’auditorium de George Town. Puis nous nous dirigeâmes vers l’intérieur du pays. Pretoria fut le point culminant du voyage. Enfin, l’heure du retour sonna. Mme Dunbar savait qu’elle avait maintenant pour mission de persuader les autorités de l’université de conserver à ce chanteur sans le sou le statut d’étudiant. Ma volonté d’accepter n’importe quel travail — jusqu’à laver les toilettes s’il le fallait — et la persévérance de ma tutrice furent récompensées. Le comité vota en ma faveur. Je pourrais rester à l’université et travailler sur la ferme pour payer mes études et mon hébergement. Je dois beaucoup à l’université Helderberg. Elle occupe toujours une place de choix dans mon cœur. Elle a non seulement tracé ma carrière de chanteur, mais m’a également permis de trouver la femme de ma vie. Cependant, certains problèmes de santé antérieurs refirent surface juste avant notre mariage : un os brisé coinçait le nerf conduisant à mes reins, au point que je dus subir une opération délicate. Si le problème n’avait pu être corrigé, je n’aurais guère vécu plus de trois mois. En septembre 1996, nos pieds se posèrent sur le sol anglais. Ma femme et moi venions pour rester. En 2004, je sortis vainqueur d’un concours de chant télévisé des plus populaires, « Stars in Their Eyes », grâce au chant de Paul Robeson : « Ol’ Man River ». Je me demandai comment je pourrais remercier assez le Seigneur pour tout ce qu’il avait fait pour moi. Quant à l’avenir, qui peut le prédire ? « À Dieu tout est possible. » (Matthieu 19.26) Ce bref aperçu de la vie de Charles Ngandwe (notez que le g est muet) raconté par Anita Marshall s’inspire du livre The Voice He Gave Me (Grantham, Angleterre : Autumn House, 2004). S’y ajoutent des éléments de ses interviews. Anita demeure à Grantham, Lincolnshire, en Angleterre. Elle adore écrire et jardiner. Email : anita_marshall@hotmail.com. |